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autre poste français fut enlevé sur l’habitation Borgella, et les prisonniers subirent le sort de ceux de Lassère.

Le général en chef arriva ensuite au camp Frère où il trouva Cangé et sa troupe, réunis aux indigènes qui gardaient ce point.

La tradition rapporte qu’en arrivant dans la plaine, il avait envoyé des députés auprès de Lamour Dérance, qui se tenait alors au Grand-Fond, afin de l’assurer de sa soumission à son autorité ; et que rendu au camp Frère, il le fit inviter à venir passer la revue de ses troupes ; que Lamour Dérance y vint, en effet, avec quelques gardes, et adressa à Dessalines un langage plein d’arrogance ; que ce dernier, ne se sentant pas assez de puissance pour se défaire de Lamour Dérance, supporta toutes ses paroles insultantes et le pria même de passer la revue de ses 10,000 hommes de troupes, auxquels il avait commandé de crier : Vive le général en chef ! pour mieux satisfaire l’orgueil de cet Africain, qui retourna au Grand-Fond après cette revue[1].

Nous n’accordons pas toujours assez de créance aux traditions populaires, pour ajouter foi à celle-ci. Si Lamour Dérance était orgueilleux de la position que les circonstances lui avaient donnée, et non pas ses absurdes superstitions, plus d’une fois aussi il avait fui la présence de Dessalines du temps de T. Louverture, sans trop croire à l’efficacité de ses ouangas ; il savait qu’il avait affaire à un homme qui ne les redoutait pas, et qui faisait trancher une tête sans hésitation. D’un autre côté, Dessalines était l’être le moins endurant ; à la tête d’une armée aussi nom-

  1. Histoire d’Haïti par M. Madiou, t. 3, p. 33 et 34.