Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/481

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acquis au profit de la justice éternelle, en méconnaissant les services rendus à la France, par ces hommes qui lui avaient conservé sa colonie au prix de leur sang, en combattant courageusement contre des puissances rivales et jalouses de sa prospérité. Et cette funeste réaction avait été préparée de longue main, par la division habilement semée entre ces défenseurs dévoués de la métropole : une guerre civile des plus désastreuses les avait moissonnés ; à cette guerre impie avait succédé un état de choses qui obtint, il faut le dire, le secret assentiment de ce gouvernement. Les colons jouissaient alors de tous leurs anciens privilèges, — de tous, jusqu’à la faculté de renouveler la traite des noirs pour repeupler leurs ateliers, et il ne s’en tenait pas pour satisfait !

Cependant, faut-il en accuser seulement les colons et le gouvernement français ? L’équité, la justice la plus stricte, n’imposent-elles pas à l’histoire le devoir de reconnaître aussi que Toussaint Louverture, devenu l’aveugle instrument de la politique métropolitaine, contribua puissamment à l’exécution du plan odieux conçu contre ses frères ?

Quel était le régime qu’il avait établi, alors qu’il devint un dictateur tout-puissant, sinon un despotisme brutal et sanguinaire qui ne recula pas même devant le sacrifice de son propre sang ? Sa vanité, son orgueil, son ambition effrénée, l’avaient porté à ces actes coupables ; et quelque fût son dévouement personnel aux intérêts égoïstes de la faction coloniale, il devait subir inévitablement l’effet de ses préjugés séculaires : de là, la criminelle entreprise qui tendait à lui ravir son pouvoir dominateur, pour arriver plus efficacement encore à l’asservissement de la race noire. Noir lui-même, il ne pouvait plus être