Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/482

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qu’un objet d’horreur aux yeux de ceux qu’il avait si imprudemment servis, du moment qu’il avait rempli leurs vues.

À l’apparition de la flotte, Toussaint Louverture se trouvait à une distance immense des lieux où elle abordait. Ses fils, qui avaient eu l’espoir de la précéder, pour lui remettre une lettre du Premier Consul, qui eût été pour lui le témoignage d’une haute considération, furent déçus dans cet espoir d’une mission pacifique. Pourquoi cette dérogation à une assurance positivement donnée par le Premier Consul lui-même ? C’est que le général en chef de l’expédition, comptant plus sur la valeur de ses troupes et sur de fallacieuses proclamations, s’imagina que l’emploi de la force était le meilleur moyen d’en assurer le succès : de là la résistance qu’il rencontra dès ses premières opérations. Cette résistance ne fut même déterminée que par la menace terrible consignée dans les proclamations, et par une guerre à mort inaugurée comme pour prouver que la menace n’était point vaine. Faut-il alors s’étonner que Toussaint Louverture, accouru sur les lieux et rendu à sa dignité originelle, par la méconnaissance de tous ses services antérieurs, ait méconconnu à son tour la souveraineté de la France, et le droit qui en dérivait de l’évincer du pouvoir qu’il tenait d’elle ?

La justice qui l’accuse d’erreurs, de fautes, de crimes nombreux dans l’administration de son pays, doit ici l’absoudre de l’énergique résolution qu’il prit de résister personnellement au capitaine-général qui venait le remplacer. En guidant ainsi instinctivement l’armée coloniale dans une guerre où elle puisa le sentiment de ce qu’elle pouvait, et qu’elle entreprit elle-même plus tard