Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/488

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vait mieux relever l’honneur et la dignité de la race noire elle-même, je me suis dit :

Je dois être pour les hommes, quelle que soit leur couleur, parce que je suis homme.

Que m’importent, en effet, les absurdes préjugés nés du régime colonial subsistant encore, de nos jours, dans diverses contrées de l’Amérique, surtout dans celle où des hommes de cette race noire, de mon pays même, combattirent avec valeur pour fonder son indépendance[1] ? Je sens, par la faible intelligence dont Dieu m’a doué, par mon cœur, que j’appartiens à l’espèce humaine. Cette conviction intime ne suffit-elle pas pour me porter à fouler aux pieds tous ces préjugés insensés, à être juste envers tous mes semblables ?

C’est dans cet esprit que je vais narrer maintenant les faits de l’histoire des Haïtiens, livrés à leur libre arbitré. J’examinerai si mes compatriotes ont compris eux-mêmes tous les devoirs que leur imposait la condition nouvelle où les plaça le Dieu Tout-Puissant qui les soutint dans leurs luttes. Je sais d’avance qu’ils ont droit à beaucoup d’indulgence, pour les fautes qu’ils ont dû faire dans la direction des affaires de notre pays ; mais je sais aussi qu’il est de ces actes tellement contraires aux principes de la morale, inséparables de ceux d’une saine politique, qu’un auteur qui se respecte ne doit pas les louer, s’il veut servir utilement la cause qu’il défend, s’il veut honorer son pays.

  1. Les États-Unis, où les noirs et les mulâtres sont placés sous le joug de l’esclavage et du préjugé de la couleur, ont eu le concours de ces hommes enrôlés à Saint-Domingue sous le nom de chasseurs royaux. A Savannah, en 1779, Rigaud, Bauvais, Villatte, Christophe Mornet, Belley, Henri Christophe et tant d’autres, se signalèrent sous les ordres du brave comte d’Esîaing. Rigaud, âgé alors de 18 ans, y fut blessé à la tête. (Carton du ministère de la marine, contenant son état de service).