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Il était sans doute facile de lui démontrer que celui de gouverneur général rappelait les anciennes relations du pays avec la France, qu’il ne convenait pas au chef d’Haïti ; et alors, Dessalines ne pouvait qu’agréer ce nouveau titre, pour prouver qu’il se considérait l’égal de Bonaparte, titre qui devint ainsi une mesure purement politique, par rapport à la France, pour donner plus de poids à l’indépendance. Il se peut aussi que son amour-propre ait été flatté de ce titre pompeux, et qu’il ait cru augmenter la stabilité de son pouvoir en le prenant. Les chefs se font souvent de telles illusions ; et les considérations énumérées à ce sujet, à l’occasion de l’érection de l’empire français, ont dû influer sur son esprit.

D’ailleurs, notre indépendance de la France pouvait-elle nous soustraire à toute idée d’imitation de ce qui se passerait en ce pays-là ? En dépit de la proclamation du 1er janvier, tout portait encore parmi nous l’empreinte française, et c’était tout naturel ; car un peuple nouveau ne peut pas rompre entièrement avec son passé. Nous croyons donc qu’avant d’avoir reçu ces nouvelles d’Europe, personne ne dut songer à ce titre en faveur de Dessalines, pas plus qu’à celui de président, et encore moins à une constitution démocratique, ainsi que l’avance M. Madiou[1]. Les esprits les plus sages, par cela même qu’ils étaient sages, ne pouvaient s’imaginer qu’une telle constitution fût possible avec un chef comme Dessalines.

Mais les officiers de son état-major, ses secrétaires qui l’inspiraient, durent entrevoir pour eux-mêmes toute une auréole de noblesse personnelle, avec les titres de prince, duc, marquis, comte, baron, chevalier, et les croix et

  1. Hist. d’Haïti, t. 3, p. 168.