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ceux-ci surtout qui étaient les plus influens sur l’armée et sur le peuple. Voyant Dessalines prévenu contre Geffrard, à propos de Rigaud, il put facilement lui rappeler que ce général, ainsi que Pétion, l’avaient trop soutenu dans la guerre civile du Sud, pour ne pas lui rester encore dévoués. Mentor fortifia les préventions de Dessalines, en lui faisant remarquer que tous ces anciens officiers de Rigaud, revenus depuis l’indépendance, avaient tous débarqué dans le Sud ou dans l’Ouest : c’était insinuer à l’empereur, qu’ils pouvaient bien être les précurseurs de Rigaud lui-même, que le gouvernement français renverrait à Haïti pour essayer d’y recouvrer sa domination. De pareilles insinuations ne pouvaient qu’être agréées par Dessalines, dans la situation d’esprit où il se trouvait.

Dieu seul sait, alors, si Mentor n’était pas dévoué aux vues du gouvernement français, puis qu’il remplissait si bien le but de la mission qui lui avait été confiée. Sa conduite fut si astucieuse, qu’on lui prêta même le projet audacieux de se frayer la route du pouvoir suprême, en faisant éliminer, pur la mort, tous les généraux les plus capables ; et dans ce cas, à quelles fins ? Car, si Rigaud s’était toujours montré attaché à la France, Mentor lui avait aussi prouvé son dévouement : ce qu’il supposait possible de la part de Rigaud, a pu être également conçu par lui-même[1].

D’autres faits concouraient à compliquer la position de Geffrard envers Dessalines. Soit que ce dernier voulût réellement employer quelques capacités, soit qu’il n’eût que l’intention d’éloigner du Sud des hommes qu’il savait être les amis de Geffrard, il avait retiré de Jérémie l’adjudant-général Blanchet jeune, pour le placer aux

  1. Voyez ce que dit de Mentor, l’auteur de l’Hist. d’Haïti, t. 3, p. 213, 237, 249, 256. Comme lui, nous rapportons ce que les traditions nous ont transmis.