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de ces situations critiques communes à toutes les nations qui revendiquent leurs droits par la violence. Si les hommes étaient moins imparfaits qu’ils ne le sont de leur nature, les chefs du gouvernement comme les peuples, pourraient profiter de ces expériences qui se reproduisent en vain dans tous les temps pour leur servir de leçon : les chefs de gouvernement surtout, parce que, le plus souvent, il dépend d’eux seuls d’éviter à leur pays ces terribles catastrophes qui remuent l’ordre social jusque dans ses fondemens.[1]

Celle qui renversa le gouvernement de Dessalines, bien que dirigée par des généraux influens et exécutée par l’armée sous leurs ordres, présentait néanmoins un danger éminent par l’ambition qui allait se développer dans son sein. Ce n’est pas sans péril pour l’autorité, si nécessaire aux sociétés humaines, que l’on soulève la force publique contre un chef qui l’exerce. Sitôt qu’il est abattu, les acteurs secondaires veulent obtenir le prix de leur concours dans ce résultat ; les individus les plus obscurs manifestent aussi leurs prétentions à recevoir une part quelconque dans les dépouilles du pouvoir renversé. La désorganisation s’introduit ainsi dans tous les rangs de la société ; et les chefs qui ont dirigé l’entreprise se trouvent souvent aux abois, ne pouvant satisfaire à toutes ces exigences. Heureux ceux dont la capacité, le caractère et les antécédens suffisent pour se maintenir dans leur position ! Car, en général, ils sont bien vite débordés,

  1. M. Thiers a dit avec raison : « Tous les gouvernemens périssent par l’excès de leur principe. » Celui de Dessalines s’était fondé sur la violence ; il périt pour avoir poussé trop loin son système contraire au bonheur de son pays.

    M. de Lamartine a dit avec non moins déraison : « Les gouvernemens doivent se constituer en révolution permanente, pour satisfaire aux besoins dé la société. » En effet, c’est en négligeant d’y satisfaire ou en les méconnaissant, qu’ils poussent les peuples à l’insurrection.