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leur a imputé. Si l’on persistait dans cette interprétation banale, ce serait vouloir classer les hommes, par rapport à leurs opinions, à raison de leur couleur. Les opinions politiques surtout dérivent de l’éducation qu’on reçoit, du milieu où l’on vit, des habitudes que l’on a contractées. Cependant, dans les pays où il y a réellement des castes distinctes, on trouve des hommes de caste nobiliaire, plus libéraux par leurs opinions que d’autres nés dans la caste populaire ; mais ce sont des exceptions.

Le caractère personnel de Christophe était despotique, son éducation politique s’était faite dans le Nord où l’absolutisme avait toujours eu son empire : de là ses idées, ses opinions, ses prétentions à la Royauté qu’il finit par établir.

Le caractère personnel de Pétion était libéral, modéré, conciliant ; il avait fait son éducation politique dansl’Ouest où le républicanisme s’était implanté : de là ses idées, ses opinions, sa ferme volonté d’instituer la République qu’il fonda, d’accord en cela avec les idées régnantes dans le Sud.

Cette opposition de systèmes politiques entre ces deux généraux, expliquant parfaitement la vraie cause de la guerre civile, entrons maintenant dans le narré des faits[1].

  1. C’est avec satisfaction que j’ai vu M. Madiou arriver enfin à la même conclusion que moi ; il dit à la page 386 de son 3e volume :

    « Aussitôt après la chute de l’empereur, le Nord et l’Arttbonite voulurent faire dominer leurs principes monarchiques ; l’Ouest et le Sud, au contraire, proclamèrent les institutions démocratiques les plus larges, Comme les partis étaient de forces égales, on en vint à une rupture. Quoique Toussaint et Rigaud re fussent plus sur le champ de bataille, leurs principes entrèrent en lutte : aristocratie, d’une part, personnifiée en Christophe ; démocratie, d’autre part, personnifiée en Pétion. »

    Donc, nos deux guerres civiles furent des luttes de principes politiques opposés, et non pas des guerres de couleur ni de caste.