Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 6.djvu/82

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Ce résultat, même avec ses conséquences qui font frémir le cœur humain, fut vainement annoncé par Raynal à tous les Européens, lorsqu’il leur disait plus de trente ans auparavant : « Il ne manque aux nègres qu’un chef assez courageux pour les conduire à la vengeance et au carnage. Où est-il, ce grand homme que la nature doit à ses enfans vexés, opprimés, tourmentés ? Où estce il ? Il paraîtra, n’en doutons point, il se montrera, il lèvera l’étendard sacré de la Liberté. Ce signe vénérable rassemblera autour de lui les compagnons de son infortune. Plus impétueux que les torrens, ils laisseceront partout les traces ineffaçables de leur juste ressentiment… Les champs américains s’enivreront avec transport d’un sang qu’ils attendaient depuis si longtemps, et les ossemens de tant d’infortunés, entassés depuis trois siècles, tressailliront de joie… »

Et après cet écrivain à l’âme ardente, un autre dont la sagacité a été déjà remarquée, disait aussi, à propos surtout de Saint-Domingue : « Une révolution dans vos colonies ! mais une révolution dans vos colonies en serait l’indépendance, c’est-à-dire l’anéantissement. Une révolution y serait un changement de domination ; elle ferait rentrer tous les esclaves dans la jouissance de leur liberté, tous les hommes de couleur dans l’exercice inoui, mais peu durable, de leurs droits politiques ; et tous les blancs, proscrits par cette insurrection inévitable, dépouillés de leurs propriétés, esclaves de leurs ce esclaves, n’auraient plus à opter qu’entre l’émigration, la servitude ou la mort… »[1]

La France, de même que les colons, avait donc reçu

  1. L’abbé Maury. Voyez t. 1er de cet ouvrage, p. 175.