Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 7.djvu/181

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de l’impunité ? Il paraît que bientôt l’on ne punira que la maladresse et non le crime.

Si nos lois interdisent à tous les pouvoirs la faculté de commuer la peine d’un condamné, comment peut-on ne pas craindre de se mettre au-dessus d’elles, en tolérant un délit qui porte manifestement un caractère si sérieux ? N’est-ce pas commander l’insurrection, encourager les factieux, quand les lois restent muettes sur des conjurés toujours armés d’un poignard pour assassiner la liberté et ses défenseurs ?…

Des individus condamnés par la commission militaire, ont été mis en liberté par ordre du gouvernement, contrairement à toutes les formes judiciaires. En instituant une commission de révision, le sénat a voulu détruire les funestes effets de l’arbitraire et donner aux accusés toute la lattitude possible pour faire triompher l’innocence, quand les lois sont violées dans la personne d’un prévenu ; mais les assassins, aussi bien que les conspirateurs, bravent les lois, et l’impunité enhardit aux crimes !…

Cependant, le sénat conçoit qu’il a existé une circonstance où le gouvernement a dû se trouver embarrassé sur le choix des moyens à employer pour gouverner l’État, environné de factieux, attaqué sourdement par des ambitieux qui voulaient tout pervertir en égarant l’opinion ; mais ces temps sont passés ; les antagonistes de la constitution ont disparu, et le gouvernement suit néanmoins toujours les mêmes erremens. Ce système, nous avons lieu de le croire, va changer : la sûreté des personnes et celle de la République l’exigent. L’anarchie sera toujours le désespoir des vrais patriotes, de tous les gens de bien ; ce point est déjà décidé, — que les gouvernemens sont responsables des fautes de la nation. Le peuple d’Haïti est libre ; ses droits sont garantis par une constitution pour laquelle il combat ; mais il n’est point affranchi du joug des lois.

Triomphant toujours des idées oiseuses, les membres du sénat, en dédaignant les sarcasmes, les misérables ridicules qu’on leur a malignement prêtés, et, sans être de sages sénateurs, [1] ont, depuis longtemps, fait le sacrifice de tout ce qui leur était personnel, pour ne songer qu’au bonheur commun ; et leur patriotisme, ils osent le croire, forcera l’ingratitude même à être reconnaissante ; et quelle que soit la destinée que le sort leur prépare, ils ne feront pas moins

  1. Allusion à la plaisanterie de Pétion à ce sujet, citée dans une note précédente.