Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 7.djvu/304

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la sienne. Son abord facile, son ton mielleux et persuasif préviennent en sa faveur. Moins superstitieux que ne l’est ordinairement un Espagnol, il se sert des prêtres pour les faire concourir à l’exécution de ses desseins, sans se livrer aveuglément à leurs conseils et leur donner trop d’influence. Extrêmement secret et réservé, il admet peu de personnes à son entière confiance, et ne laisse pénétrer que ce qu’il est de son intérêt de faire connaître. Il affecte les principes d’humanité, de modération et de désintéressement, seulement pour légitimer le motif de ses entreprises et accréditer une opinion favorable sur sa moralité : il sait flatter et contenir au besoin les passions des autres. Sanches n’a jamais fait preuve de valeur ; mais il a une fermeté d’âme qui lui tient lieu de courage et lui sert à relever celui de ses soldats[1]. Sanches doit plus à la nature qu’à l’éducation ; aussi a-t-il plus d’esprit que de connaissances, plus de moyens de conduite que de talens acquis. Ambitieux, il a l’air de dédaigner les grandeurs ; mais il est capable de tout pour les obtenir. Intrigant, audacieux, il a osé s’asseoir à la table du général Ferrand, dans le temps même où il venait de consommer son crime et de répandre les fermens de révolte dans toute la partie de l’Est. Fin et délié, il a su se servir du gouverneur don Torribio Montés pour le succès de ses projets, et s’est joué scandaleusement de la promesse qu’il lui avait

  1. Guillermin s’est trompé à cet égard. Juan Sanches fut nommé alcade de Cotuy, à l’âge de 17 ans, à cause de ses lumières pour cette localité et de sa sagesse précoce. Peu après il dut aller lui-même arrêter un brigand nommé Miguel Robles, qui dirigeait une bande de voleurs. Celui-ci s’enferma dans une caze et bien armé : à la voix de l’alcade qui lui disait de se rendre à discrétion, il en ouvrit la porte et déchargea son trabucco. Juan Sanches lui lâcha un coup de pistolet en pleine poitrine, qui retendit mort. C’est à partir de cette action que sa réputation de bravoure se fit dans l’Est.