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qui résultent des institutions de son époque, que son âge accepte moyennant, sans doute, des modifications avantageuses à la classe d’hommes dont il fait partie, mais pourvu qu’il en retire un profit personnel supérieur à celui de ses frères : l’égoïsme individuel s’allie en lui à ce qu’il considère comme un ordre de choses nécessaires à la prospérité de son pays.

On voit que Pétion, au contraire, est dominé par les idées nouvelles qui surgissent de la révolution française, et qui se proposent une complète rénovation politique et sociale : son jeune âge les accepte avec cet enthousiasme qui porte à la générosité des sentimens, et qui ne doit s’arrêter que devant la limite des droits tracés pour tous et chacun[1].

Que l’on remarque bien cette différence entre Toussaint et Pétion ; car ils furent aussi les deux hommes les plus persévérans dans leurs vues, les plus conséquent aux idées qu’ils conçurent dès leur début, à la vaste ambition qui les animait et qui en a fait des êtres remarquables dans leur pays, supérieurs à tous leurs contemporains.

Les événemens y suivirent leur cours, et l’on vit Toussaint arborer le drapeau royaliste ; se placer sous la puissance de l’Espagne qui protégeait les contre-révolutionnaires ; se refuser ensuite à accepter la déclaration de la

  1. On a beaucoup reproché aux hommes de couleur, à la classe intermédiaire, de n’avoir pas aspiré, dès le début de la révolution, à l’émancipation complète des esclaves. Il est vrai qu’ils ne songeaient, de même que les Amis des Noirs, qu’à une émancipation graduelle, la seule possible alors. Eh bien ! au fond, Toussaint, le plus éclairé parmi les esclaves, même le seul éclairé, adopta le même système par les conditions qu’il posa pour la soumission des ateliers en révolte : c’était les émanciper graduellement, que d’abolir le fouet et de leur accorder trois jours par semaine. Si nous l’accusons d’égoïsme, c’est qu’il donna ensuite la preuve de ce sentiment lorsque la liberté générale fut proclamée, et qu’il ne voulut pas se réunir avec ses frères aux commissaires civils.