Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/158

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loin de penser à elle, il étoit amoureux de la Robbe.

Cette rencontre fut un coup de foudre pour moi ; j’eus peine à me contraindre ; Sylvie s’en aperçut ; elle affecta beaucoup de froideur pour lui ; cette froideur même augmenta mes soupçons ; je crus qu’elle voulait me tromper. Je sortis de sa loge et ne lui parlai point du reste de la comédie. Je fus dévoré, pendant qu’elle dura, des plus cruels mouvemens. Dès que Sylvie fut sortie, j’allai chez elle ; je la trouvai noyée dans ses pleurs. Elle avait connu à ma conduite, quelle était ma façon de penser. Hé bien, me dit-elle, nous vivions trop heureux ! Il faut que vous troubliez notre tranquillité par des chimères que vous vous forgez. Je ne sais, lui dis-je, si mes soupçons sont bien ou mal fondés ; mais je sais qu’il faut vous résoudre à partir cette nuit avec moi pour l’Espagne, ou bien à nous séparer pour jamais. Partir pour l’Espagne, s’écria Sylvie ! Eh que voulez-vous y faire ? Je veux vous y épouser et y vivre avec vous, jusqu’à ce que je puisse retourner en France. Il est impossible, en vous faisant quitter la comédie aujourd’hui, que cet éclat ne soit su de mes parens. Cela rompt toutes mes