Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/159

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mesures, et j’aurais peine, s’ils apprenaient jamais quels sont mes sentimens, à vous mettre à couvert de leur haine. Il faut donc que je m’éloigne de la France. Cette résolution me précipite dans de grands inconvéniens ; mais mon cœur est trop troublé pour vous souffrir plus long-temps à la comédie.

Sylvie me représenta en vain que c’était me perdre que d’agir de la sorte ; que j’apprenais à mes parens ce que je voulais leur cacher. Je n’ai plus rien à ménager, lui dis-je, et si l’argent me manque, je serai plus heureux étant comédien avec vous, s’il le faut, dans un pays étranger, que jaloux et désespéré au milieu de ma patrie par la crainte de perdre votre cœur. Sylvie n’osa résister davantage ; elle craignait que je n’attribuasse son opiniâtreté à quelque nouvelle tendresse. Eh bien, me dit elle, je suis prête à vous suivre ; mais du moins souvenez-vous, si vous êtes jamais malheureux, de ne vous en prendre qu’à vous-même.

Charmé d’avoir fait consentir ma maîtresse au projet insensé que j’avais formé, je préparai tout pour mon départ ; je la fis habiller en homme, pour qu’elle fût moins connue. Je fis tenir ma chaise de poste prête pour