Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/357

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valoir ? Je ne puis revenir de ma surprise, lorsque je regarde la sépulture accordée avec peine à Molière, à qui notre nation est plus redevable qu’aux gens à qui on élève des mausolées. L’Europe entière nous regarde, ou comme des barbares, ou comme des in-

    et qu’il devait être aussi bon comédien hors du théâtre que sur la scène. Baron, à qui cette manière de reproche ne plaisait pas, lui dit, avec son air indolent, qu’il avait à la vérité quelques habitudes que l’on pouvait nommer bonnes fortunes ; mais qu’il était prêt à lui tout sacrifier, et qu’il estimerait davantage la moindre de ses faveurs, que le dernier emportement de toutes les femmes. La Molière fut enchantée de cette préférence, et l’amour propre qui embellit tous les objets qui nous flattent lui fit trouver un appas sensible dans le sacrifice qu’il lui offrait de tant de rivales. Il y a apparence qu’ils se fussent aimés long-temps, si la jalousie de leur mérite ne les eût pas brouillés. Quoique la Molière aimât Baron, elle n’avait pas perdu l’envie de faire des conquêtes nouvelles, et le soin de plaire l’occupait autant que sa passion. Baron, de son côté, qui ne trouvait dans la Molière qu’un plaisir sans utilité, n’avait eu garde de bannir ses sonpirans ; aussi tous deux conservèrent le commode, l’agréable et le nécessaire ; mais cette politique ne leur réussit pas, et ils s’aperçurent que deux personnes d’un même métier peuvent difficilement s’accorder ensemble. La Molière ou Guérin qui était la