Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/40

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Adieu divine volupté,
Adieu, plaisirs charmans qui flattez la mollesse,
Et dont la coupe enchanteresse
Par des liens de fleurs enchaîne la gaîté.
Mais que fais-je, grand Dieu ! courbé sous la tristesse,
Est-ce à moi de nommer les plaisirs, l’allégresse ?
Et sous les griffes du vautour
Voit-on la tendre tourterelle,
Et la plaintive Philomène,
Chanter ou respirer l’amour ?
Depuis long-temps, pour moi, l’astre de la lumière
N’éclaire que des jours signalés par mes maux ;
Depuis long-temps Morphée, avare de pavots,
N’en daigne plus jeter sur ma triste paupière.
Je disais ce matin, les yeux couverts de pleurs :
Le jour, qui dans peu va renaître,
M’annonce de nouveaux malheurs.
Je disais à la nuit : tu vas bientôt paraître
Pour éterniser ma douleur.
Vous, de la liberté, héros que je révère,
Ô mânes de Caton ! ô mânes de Brutus !
Votre illustre exemple m’éclaire ;
Parmi l’erreur et les abus
C’est votre flambeau funéraire
Qui m’instruit du chemin, peu connu du Vulgaire,
Que nous avaient tracé vos antiques vertus.
J’écarte les romans et les pompeux fantômes
Qu’engendra de ses flancs la superstition ;
Et pour approfondir la nature des hommes,
Pour connaître ce que nous sommes,
Je ne m’adresse point à la religion.