Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/127

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rement étrangers ou insensibles, au moins pendant un certain temps, au sort de leurs enfants.

Mais revenons à la question que nous avons proposée d’abord ; car peut-être contribuera-t-elle à la solution de celle qui nous occupe à présent. Si donc il faut voir la fin d’un homme pour le déclarer heureux, non pas comme l’étant actuellement, mais parce qu’il l’a été autrefois, ne serait-il pas étrange, lorsqu’un homme est heureux, que l’on s’obstinât à ne pas dire la vérité sur son état présent, sous prétexte qu’on ne veut pas préconiser le bonheur de ceux qui sont encore vivants, à cause des révolutions auxquelles ils sont exposés ; et parce qu’on regarde le bonheur comme quelque chose de durable et d’immuable, tandis que la destinée humaine est sujette à de fréquentes vicissitudes, que les mêmes personnes peuvent éprouver bien des fois ? En effet, il est clair que si l’on s’attache à observer ces vicissitudes de la fortune, on pourra souvent dire d’un même individu qu’il est heureux, et ensuite qu’il est malheureux, et ce sera faire du bonheur une condition fort équivoque et fort peu stable[1].

Ne pourrait-on pas dire plutôt qu’il n’y a aucune

  1. Ce serait, dit le texte grec, faire de l’homme heureux une espèce de chaméléon, etc. On sait que les anciens ont cru que cette espèce de lézard, qui ne se trouve qu’en Asie et en Afrique, ne se nourrissait que d’air, et prenait à volonté la couleur des objets qui l’environnaient, d’où son nom est de-