Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/235

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travail, à ce qu’on peut regarder comme son propre ouvrage, comme on le voit par l’exemple des pères ou des mères, et des poètes[1]. Mais il n’est pas facile au libéral de s’enrichir, n’étant ni avide d’acquérir, ni appliqué à conserver, mais aimant, au contraire, à prodiguer l’argent, sans y attacher un grand prix en lui-même, et ne l’estimant que par le plaisir qu’il trouve à le donner. Voilà pourquoi on reproche si souvent à la fortune de n’accorder ses faveurs qu’à ceux qui en sont le moins dignes ; et ce n’est pas sans raison : car il en est de l’argent comme de toutes les autres choses, on n’en peut avoir sans s’appliquer aux moyens d’en acquérir.

Cependant le libéral ne fera des dons ni aux personnes à qui on n’en doit pas faire, ni dans les occasions où il ne le faut pas, et il ne manquera à aucune des autres convenances ; car ce ne serait plus agir libéralement, et, après avoir ainsi dépensé sa fortune, il ne lui resterait plus de quoi satisfaire aux dépenses convenables. Car, comme je l’ai dit, on n’est libéral qu’autant que l’on proportionne sa dépense à la fortune qu’on a, et qu’on en fait un emploi raisonnable ; celui qui donne dans l’excès

  1. Cicéron (Tuscul. l. 5, c. 22), en parlant de la manie qu’avait Denys, tyran de Syracuse, de se croire un habile musicien et un grand poète, ajoute : « Je ne sais comment il arrive qu’en ce genre, plus qu’en tout autre, on trouve admirable tout ce qu’on fait. Je n’ai pas connu de poète qui ne se crût parfait, et pourtant j’ai été lié avec Aquinus. » Platon (De Rep. l. i, p. 53) fait la même observation.