Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désordres. Tel est donc le degré d’avilissement où tombe le prodigue, quand il est devenu incapable de se laisser conduire ; cependant, avec des soins et de sages conseils, il peut encore revenir à la modération et rentrer dans le devoir.

L’avarice, au contraire, est incurable, parce que ce vice semble appartenir plutôt à la vieillesse[1], et à tous les genres de faiblesse et d’imbécillité, et qu’il est plus dans notre nature que la prodigalité ; car les hommes sont plus généralement disposés à aimer l’argent qu’à en donner. Cette passion est même susceptible de prendre beaucoup d’intensité, et des formes très-diverses ; et il semble qu’il y a, en effet, plusieurs sortes d’avarice. Car, comme elle renferme deux conditions, le défaut de facilité à donner, et le penchant excessif à recevoir ou à prendre, ce double caractère ne se trouve pas toujours dans un même individu ; mais il se partage quelquefois, de manière que l’on peut remarquer chez les uns l’excès de l’avidité, tandis que chez d’autres c’est plutôt le défaut du penchant à donner : aussi y a-t-il des noms particuliers pour désigner les hommes de ce caractère, comme avare,

  1. Aristote, dans sa Rhétorique (l. 2, c.8) ; Horace (De Arte Poet. vs. 170), ont reproduit cette pensée, dont la justesse semble confirmée par l’observation de tous les siècles. Cicéron (De Senect. c. 18) met dans la bouche de Caton cette réflexion qui n’est pas moins juste : « Je ne comprends pas quel peut être le but de l’avarice dans un vieillard : car y a-t-il rien de plus absurde que de s’occuper à amasser plus de provisions, au moment où il vous reste moins de chemin à faire ? »