Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/355

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déteste les hommes entreprenants, et ardents à se mêler de tout[1]. C’est qu’au fond, ils cherchent ce qui leur est avantageux, ils s’imaginent devoir agir ainsi, et c’est cette façon de penser qui les fait regarder comme prudents. Il est possible, au reste, qu’on ait besoin de s’instruire de la science économique, et de s’occuper des intérêts publics, pour bien conduire ses propres affaires. Cependant, on ne voit pas encore bien ce qu’il faut faire pour cela, et c’est une chose à examiner.

Ce qui prouve la vérité de ce que nous disons, c’est que les jeunes gens peuvent devenir géomètres, mathématiciens, et même habiles dans ces sciences-là ; mais on ne les croit pas susceptibles de devenir prudents, parce que la prudence est relative aux circonstances particulières, aux objets de détail, qu’on ne peut connaître qu’à l’aide de l’expérience : et un jeune homme est sans expérience ; car il n’y a que le temps qui donne cet avantage.

On pourrait encore examiner pourquoi un enfant est capable d’apprendre les mathématiques, tandis qu’il ne l’est pas d’apprendre la sagesse ou la physique. Est-ce parce que la première de ces sciences ne consiste qu’en abstractions, au lieu que les

  1. Les vers cités ici par Aristote, sont du Philoctète d’Euripide, tragédie dont il ne nous reste que quelques fragments. Celui-ci est cité encore par notre auteur (Eudem. l. 5, c. 8) ; par Plutarque (to. 8, p. 152, éd. Reisk.), etc. On trouve les mêmes idées, à peu près, mais plus développées, dans le Theœtetus de Platon (p. 173).