Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/427

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jouir des autres biens sans obstacle. Quant à ceux qui prétendent qu’un homme étendu sur la roue[1], et plongé dans la plus cruelle infortune, est encore heureux, s’il est vertueux, soit qu’ils parlent ainsi sérieusement, ou simplement pour avancer un paradoxe, ce qu’ils disent n’a aucun sens.

D’un autre côté, parce que le bonheur a besoin d’être secondé par la fortune, il y a des gens qui s’imaginent que bonheur et bonne fortune sont une même chose, tandis que cela n’est pas. L’excès de la bonne fortune peut même devenir un obstacle au bonheur ; et peut-être ne mériterait-elle plus alors le nom qu’on lui donne, car elle doit s’arrêter dans les limites qui conviennent pour le bonheur. D’ailleurs, ce qui prouve que la volupté, ou le plaisir, est, à certains égards, le bien par excellence, c’est que tous les hommes, et même tous les animaux, le recherchent avec ardeur. [Et l’on peut lui appliquer ces paroles[2] d’Hésiode : ] « Certes, ce qui est l’objet des discours et des récits de tous les mortels ne saurait être un pur néant. »

Cependant, comme ni la nature la plus accomplie, ni l’habitude la plus parfaite, ne sont les mêmes

  1. Ce n’était pas, chez les anciens, un genre de supplice, mais un genre de torture. Voy. les scholiastes d’Aristophane (In Pac. vs. 454)
  2. Dans le poëme intitulé Les Œuvres et les Jours, (vs, 763.)