Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/529

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peut guère avoir un attachement bien vif pour un grand nombre de personnes ; et c’est pour cela que l’amour ne saurait exister entre plus de deux ; car cette passion est l’amitié même, portée au plus haut degré d’énergie, et, par conséquent, ne peut avoir qu’un objet unique ; d’où il suit qu’on ne peut avoir une affection très-vive que pour un petit nombre de personnes.

Les faits eux-mêmes viennent à l’appui de cette observation : car il n’y a jamais d’amitié entière et parfaite entre plusieurs individus, et celles qui ont eu le plus de célébrité dans le monde, n’ont existé, comme on sait, qu’entre deux personnes[1] ; au lieu que ceux qui ont de nombreux amis, et qui font à tout le monde un accueil amical et familier, passent pour n’être amis de personne ; on les appelle affables, complaisants[2], quand cette manière d’être est en eux l’effet d’un caractère sociable. Cependant, on peut, par le seul effet de ce caractère, avoir de nombreux amis, sans être proprement officieux ou complaisant, mais parce qu’on est réellement homme de bien. Au reste, il n’y a pas beaucoup de personnes qu’on puisse aimer pour elles-mêmes, et à cause de leur vertu ; mais

  1. On voit que l’auteur fait ici allusion à ces couples d’amis célèbres dans l’histoire des temps héroïques chez les Grecs, comme Thésée et Pirithoüs, Achille et Patrocle, Pylade et Oreste.
  2. Caractère dont il a été question précédemment. Voyez l. 4 ; c. 6.