Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/530

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on doit s’estimer heureux de rencontrer quelques amis de cette espèce[1].

XI. Mais a-t-on plus besoin d’amis dans la prospérité que dans l’adversité ? On en cherche au moins dans l’une et l’autre situation ; car les infortunés ont besoin d’assistance, et les gens heureux ont besoin de trouver des personnes avec qui ils puissent vivre, et à qui ils puissent faire du bien, ce qui est en eux un désir général. Il est donc plus nécessaire d’avoir dès amis dans l’infortune : aussi est-ce alors qu’on a besoin de ceux qui sont utiles ; mais il est plus beau d’en avoir dans la prospérité, et c’est pour cela qu’on en recherche qui soient vertueux : car c’est à ceux-là qu’on doit préférer de faire du bien, et c’est avec eux qu’il est doux de vivre. En effet, la seule présence des amis est

  1. L’un des commentateurs de ce traité, Victorius, fait ici une observation qui mérite d’être rapportée. Il serait étrange, après tout ce qu’Aristote a écrit sur l’amitié, qu’il eût coutume de dire, comme le raconte Diogène de Laërce (l. 5, § 21) : « Ô mes amis, il n’y a point d’amis ! » Le peu que l’on sait de l’histoire de ce philosophe, dément même formellement le langage qu’on lui attribue. Or, il paraît, d’après un passage du 7e livre de la Morale à Eudemus (c. 12), qu’Aristote disait du grand nombre d’amis, ce que Diogène ou Favorinus, sur le témoignage duquel il s’appuie, lui font dire des amis en général. Voici donc comment Aristote s’exprime dans le passage que je viens d’indiquer : Καὶ τὸ ζητεῖν ἡμῖν καὶ εὔχεσθαι πολλοὺς φίλους · ἅμα δὲ λέγειν ὡς οὐθεὶς φίλος ᾧ πολλοὶ φίλοι « Chercher et souhaiter d’avoir de nombreux amis, mais se dire, en même temps, que personne n’est véritablement ami de celui qui a beaucoup d’amis. »