Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/533

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cette raison, on doit naturellement s’empresser à les appeler auprès de soi, lorsqu’il arrive quelque événement heureux ; car il est beau de se plaire à faire du bien aux autres. Dans l’infortune, au contraire, on ne doit consentir qu’avec peine à voir ses amis ; car il faut, le moins qu’on peut, leur faire partager sa souffrance. C’est pour cela qu’un poète a dit : « C’est bien assez que je sois malheureux….. »[1]. Mais il faut surtout les appeler lorsqu’ils peuvent, sans prendre beaucoup de peine, nous être d’une grande utilité. D’un autre côté, peut-être aussi doit-on s’empresser de rechercher un ami dans l’infortune, sans attendre qu’il vous appelle ; car le devoir de l’amitié est de faire du bien, surtout à celui qui est dans la détresse, et qui n’a pas exigé d’assistance : c’est des deux parts un procédé plus touchant et plus honorable. Il faut se porter avec ardeur à seconder la bonne fortune de ses amis, parce qu’ils peuvent même avoir besoin d’assistance en pareil cas : mais on doit marquer peu d’empressement à en recevoir des services ; car rien ne fait moins d’honneur que de s’occuper sans cesse de son intérêt personnel. Au reste, peut-être faut-il prendre garde de déplaire à ses amis, en s’obstinant à refuser leurs services, comme il arrive quelquefois. Dans tous les cas donc, la pré-

  1. Paroles prises, peut-être, de quelque tragédie d’Euripide, que nous n’avons plus, ou même de l’Oreste de ce poète (vs. 240), mais dont un mot peut avoir été mal lu par les copistes des œuvres d’Aristote.