Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/292

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tion avant de les secourir contre les Phocéens, ils auraient promis le passage ; qu’il serait donc absurde à eux de ne point l’accorder, puisqu’il les a gagnés par ce service et qu’il a compté sur eux.

VII. Un autre lieu se tire des paroles prononcées contre nous-mêmes, pour combattre celui qui les a prononcées. Ce procédé est excellent ; il y en a un exemple dans le Teucer[1], et Iphicrate s’en est servi contre Aristophon. Il lui demanda s’il serait homme à livrer les vaisseaux pour de l’argent et, sur sa réponse négative : « Toi qui es Aristophon, lui dit-il, tu ne les aurais pas livrés, et moi, Iphicrate ; je l’aurais fait[2] ! » Une condition essentielle (pour cela) c’est que l’accusateur puisse paraître avoir mal agi plutôt que son adversaire. Ainsi, pour citer un cas contraire, il semblerait ridicule que l’on répondit par cet argument à une accusation d’Aristide. Du reste, il sert à détruire l’autorité de l’accusateur ; car celui qui accuse a la prétention, généralement, d’être meilleur que celui qui est poursuivi ; il s’agit, par conséquent, de le réfuter sur ce point. En général, c’est une chose absurde de reprocher aux autres ce que l’on fait soi-même, ou ce dont on est capable, comme aussi de pousser les autres à faire ce que l’on ne fait pas, ou ce dont on n’est pas capable.

VIII. Un autre lieu se tire de la définition. Exemple : « Le démon[3] n’est rien autre chose qu’un dieu ou une œuvre de dieu ; or, du moment où l’on croit que c’est

  1. S’agit-il d’une réponse d’Ulysse, accusé par Teucer d’avoir égorgé Ajax ? Cp. Quintilien, Instit. orat., iv, 2 : « Ut in tragœdiis cum Teucer Ulyssem reum facit Ajacis occisi, » etc.
  2. Passage du discours perdu d’Iphicrate : περὶ προδοσίας. Quintilien (Instit. orat., IV, 12), qui rapporte le même passage, dit « la République » au lieu de « les vaisseaux ».
  3. Allusion au démon ou génie de Socrate.