Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/339

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IV. L’élocution appropriée à la circonstance rend le fait en question probable ; car notre âme se fait alors cette illusion que l’orateur dit la vérité, parce que, dans des conditions analogues, elle serait affectée de même, et par suite l’on pense, lors même qu’il n’en est pas ainsi, que les choses se passent comme il le dit.

V. L’auditeur partage les émotions que l’orateur fait paraître dans ses discours, même s’ils ne disent rien. Voilà d’où vient que beaucoup d’orateurs frappent l’esprit des auditeurs en faisant grand bruit.

VI. La manifestation des mœurs est celle qui se fait par les indices, attendu que chaque genre et chaque condition (ἕςις) donnent lieu à une manifestation corrélative. J’entends par genre, au point de vue de l’âge, par exemple, un enfant, ou un homme mûr, ou un vieillard ; j’entends aussi un homme ou une femme, un Lacédémonien ou un Thessalien.

VII. J’appelle condition ce qui fait que par sa vie un homme est tel ou tel ; car les diverses existences humaines ne sont pas dans une condition quelconque. Si donc l’on emploie des expressions appropriées à la condition, l’on aura affaire aux mœurs. En effet, un homme inculte et un homme éclairé n’auront pas le même langage ni la même manière de parler. Une locution qui produit un certain effet sur les auditeurs et dont les logographes usent à satiété, c’est, par exemple. « Qui ne sait… ? » ou encore : « tout le monde sait…[1] » Là-dessus l’auditeur est gagné, car il rougirait de ne pas partager une connaissance acquise par tous les autres.

  1. Cp. Spengel, t. II, p. 381, où sont réunis une foule d’exemple de ces deux locutions.