Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/44

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car, si l’on étalait pêle-mêle les plus riches couleurs, on ne ferait pas autant plaisir qu’en traçant une figure déterminée au crayon.

XVI. Ajoutons que les parties de la fable les plus propres à faire que la tragédie entraîne les âmes, ce sont les péripéties et les reconnaissances.

XVII. Une autre preuve encore, c’est que ceux qui abordent la composition dramatique peuvent arriver à une grande habileté sous le rapport du style et des mœurs, avant de savoir constituer les faits. Au surplus, c’est ce qui est arrivé à presque tous les premiers poètes.

XVIII. Ainsi donc le principe, et comme l’âme de la tragédie, c’est la fable. Les mœurs viennent en second lieu ; car l’imitation[1] est l’imitation d’une action et, à cause de cette action, l’imitation de gens qui agissent.

XIX. Puis, en troisième lieu, la pensée, c’est-à-dire la faculté de dire avec convenance ce qui est dans le sujet et ce qui s’y rapporte, partie qui, en fait d’éloquence, est l’affaire de la politique et de la rhétorique. En effet, les personnages que les anciens mettaient en scène parlaient un langage politique, et ceux d’aujourd’hui parlent un langage oratoire.

XX. Le caractère moral, c’est ce qui est de nature à faire paraître le dessein. Voilà pourquoi il n’y a pas de caractère moral dans ceux des discours où ne se manifeste pas le parti que l’on adopte ou repousse, ni dans ceux qui ne renferment absolument rien comme parti adopté ou repoussé par celui qui parle. La pensée, c’est ce qui sert à démontrer qu’une chose

  1. Buhle place ce membre de phrase, non sans apparence de raison, à la suite de celle qui commence le § 15.