Page:Aristote - Psychologie, trad Barthélemy Saint-Hilaire, 1847.djvu/228

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cause du mouvement dont ils sont agités ; ils sont tout absorbés, les uns par le développement qui se fait en eux, les autres par le dépérissement qui les emporte ; et l’on peut ajouter que les enfants conservent des formes analogues à celles des nains assez tard et pendant bien des années.

§ 21. Voilà ce que nous voulions dire sur la mémoire et sur l’acte qu’elle produit. Nous avons exposé quelle en est la nature, et par quelle partie de l’âme les animaux se souviennent ; nous avons dit également pour la réminiscence ce qu’elle est et comment elle se forme.

- COMMENTAIRE CHAPITRE II -

§ 1. De la Réminiscence. Michel d’Éphèse et, après lui, d’autres commentateurs ont cru devoir expliquer ici d’une manière générale la réminiscence, et montrer en quoi elle diffère de la mémoire. La réminiscence est, selon eux, l’acte par lequel nous complétons un souvenir incomplet. Il y a donc dans la réminiscence non pas un simple acte de mémoire, mais de plus un effort de notre intelligence pour réunir les fragments de souvenir que nous possédons déjà, et reconstituer le souvenir tout entier.

§ 2. Dans nos Essais. C’est ainsi que je crois pouvoir traduire les deux mots grecs qui, littéralement , signifient : « Dans les Discours Epichérématiques, » ou d’argumentation. Thémistius comprend que ce sont des ouvrages écrits d’une manière populaire, et où Aristote évitait les discussions trop profondes : ce qui justifie en partie ma traduction. Michel d’Éphèse croit que ce sont les Problèmes qui sont désignés ainsi, et les commentateurs ont souvent adopté cette conjecture. Mais les Problèmes, du moins tels que nous les possédons actuellement, ne renferment rien sur la mémoire, comme Léonicus le marque. Diogène de Laërce, dans son catalogue, parle aussi de Discours Épichérématiques ; mais ces discours sont en trois livres, selon lui : ce qui prouverait encore qu’il n’est pas question des Problèmes. — Ainsi. Il semble, par cette expression, qu’Aristote ne fait ici que résumer ce qu’il a développé ailleurs. — Qu’on recouvre la mémoire. Ce qui serait la réminiscence. — Une première notion. Je comprends le texte en ce sens avec Michel d’Ephèse. Quelques commentateurs ont compris que l’on acquière la mémoire dès l’origine, qu’on fait le premier acte qui constitue la mémoire. Cette interprétation ne s’accorde pas avec le contexte.

§ 3. Et toute récente qu’elle est. Le texte dit mot à mot : « Dans un instant indivisible et dernier. » Je ne sais si la périphrase que j’ai prise rend suffisamment la pensée ; mais je n’aurais pu l’exprimer dans toute sa portée qu’en la développant outre mesure. Aristote veut dire qu’au moment même indivisible où l’objet achève de faire l’impression qu’il doit produire, cette impression est défit dans l’être qui la subit. — Qui la subit. Le texte emploie le même radical que pour le mot d’« impression. » Notre langue n’a pu m’offrir les mêmes analogies. — Qu’on se rappelle, en revenant sur le passé. — Ce qu’on sait, actuellement en le sentant ou en le pensant. On ne peut donc confondre ces deux phénomènes, pas plus qu’on ne peut confondre ces deux moments du temps ; mais par une impropriété de langage, on peut dire qu’on se rappelle une chose qu’on apprend, par exemple, pour la seconde fois.

§ 4. Se souvenir par la réminiscence. Aristote dit seulement : « Se souvenir ; » et Léonicus remarque avec raison que le mot qui exprime un simple acte de mémoire doit signifier ici, d’après le contexte, un véritable acte de réminiscence. — Une impression qu’on a éprouvée, car alors ce serait un simple acte de mémoire. — De l’une des choses qui ont été dites. Tout ce paragraphe, qui est fort important, puisque c’est l’essence même de la réminiscence qui y est exposée, est obscur, comme le remarque Michel d’Éphèse. Aristote veut dire sans doute que la réminiscence consiste, par exemple, à se rappeler, à l’aide d’une seule chose qui a été dite, toutes celles dont elle était accompagnée. Je n’ai pu rendre la traduction plus claire, sous peine de refaire le texte. — Le souvenir et la mémoire. J’ai suivi l’édition de Berlin qui donne ici un nominatif au lieu d’un datif ; et avec ce simple changement d’accent, il n’est pas besoin de forcer le sens du texte, comme le propose Léoicus. — Une partie des choses qui se reproduit. En entendant ainsi l’expression dont se sert Aristote, la nature de la réminiscence appariait clairement. — Car la même personne. Ceci fait suite non pas au dernier membre de phrase, mais à celui qui le précède ; si la réminiscence ne faisait que reproduire les choses absolument et de toutes pièces, on pourrait la confondre avec cette science qui nous apprend une seconde fois ce que nous avions déjà su. — Plus complet que celui d’où l’on part pour appendre. Ceci se comprend fort bien ; dans la réminiscence, l’état de l’esprit est plus complet en ce qu’il a quelque fragment de souvenirs ; au contraire, c’est en quelque sorte de vide que part l’esprit pour apprendre quelque chose pour la première fois. On pourrait, par de simples changements d’accents, entendre cette fin du paragraphe de la manière suivante : « Un état plat complet de l’esprit d’où l’on part pour apprendre le reste de la chose. » Le paragraphe suivant pourrait justifier cette conjecture, qui, du reste, n’a pas pour elle les manuscrits.

§ 5. Tel mouvement, dans les choses ; on pourrait aussi comprendre : « telle émotion » dans l’esprit. — Il déterminera. Nécessairement, sous-entendu. — Une seule impression qui les émeut. Le texte dit : « Mouvement » ou émotion. — D’émotions, ou de mouvements, comme aussi dans les phrases suivantes. J’ai préféré émotions toutes les fois qu’il s’est agi de mouvements qui se passent dans la sensibilité. — Celle-ci, c’est-a-dire celle que nous cherchons dans l’acte de la réminiscence. J’ai dû conserver la concision du texte. — Sont identiques.... simultanés à celui que l’un cherche.

§ 6. Sans même chercher, c’est-à-dire qu’il suffit d’un fragment de souvenir qui nous vient à l’esprit, sans intervention de la volonté, pour réveiller le souvenir entier. — Qu’il nous importe de retrouver. J’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée et la rendre parfaitement claire. — Dont nous venons de parler, c’est-à-dire les mouvements on émotions qu’ont provoqués les choses semblables ou contraires, ou les choses voisines ; voir le paragraphe précédent.

§ 7. Nous avons réminiscence. La texte dit encore ici : « Nous nous souvenons. » Comme plus haut, au § 4, je crois qu’il s’agit ici de la réminiscence : Michel d’Ephèse et Léonicus sont aussi de cet avis. — Sans recherche préalable, c’est-à-dire par un simple acte de mémoire.

§ 8. Qu’elles donnent à l’esprit. J’ai ajouté ces mots pour que la pensée fût claire et complète. — Que mal et péniblement. On pourrait encore comprendre le texte un peu autrement : « Les choses qui sont mal en ordre ne se retiennent que difficilement. » — D’un second apprentissage des choses qu’on avait sues jadis, mais que depuis l’on a oubliées. — Qui viennent après le premier point d’où l’on est parti. Le texte dit mot à mot : « A ce qui est après le principe. » — C’est qu’on ne se souvient plus, ou plutôt qu’on ne peut plus faire acte de réminiscence ; voir plus haut §§ 7 et 4. — Hors d’état de se rappeler. Il faut encore entendre ceci dans le sens de la réminiscence. — Fort bien chercher, sans avoir aucune donnée préalable dont la possession constituerait précisément l’acte de la réminiscence. — Par réminiscence. J’ai dû ajouter ces mots pour que la pensée fût précise : le texte a simplement indiqué le souvenir, la mémoire, sans la nuance particulière de la réminiscence qu’il s’agit pourtant de déterminer. — La faculté motrice. On voit dans quel sens restreint il convient d’entendre ici ces mots : c’est la force qui s’applique à remuer les divers souvenirs d’où l’on tirera le souvenir complet que l’on cherche. — Comme on l’a dit. Ceci paraît un résumé général de tout ce qui précède plutôt qu’une répétition précise de ce qui aurait déjà été dit. — Des choses.... les plus étrangères. J’emprunte cette leçon, très ingénieuse et certainement très vraie, bien qu’elle n’ait pas pour elle l’autorité des manuscrits, à M. Hamilton, dans sa note D, aux œuvres complètes de Reid. Dans cette note, M. Hamilton a traduit et commenté avec une rare sagacité et une immense érudition toute la théorie d’Aristote sur la réminiscence. J’ai connu trop tard cet excellent travail, dont j’aurais été fort heureux de profiter. La leçon vulgaire, dans ce passage, est : « Des lieux communs, » et les commentateurs ont cru qu’il s’agissait des lieux communs de Rhétorique et de Topique. M. Hamilton, par le changement d’une lettre unique, a su découvrir la leçon qui peut seule s’accorder avec le contexte : je n’ai pas hésité à adopter cette correction toute grave qu’elle est ; et je crois qu’en étudiant ce passage, il sera très facile d’en reconnaître la justesse. On peut d’ailleurs se permettre, dans une traduction, ce qu’on ne risquerait pas dans une édition du texte.

§ 9. Le principe général d’où l’on doit partir. J’ai suivi l’édition de Berlin, dont la leçon me parait préférable à toute autre, parce qu’elle s’accorde mieux avec le contexte. — Avant ce point. Le texte dit simplement : « Antérieurement. » — Que l’on pense, pour retrouver l’objet même que l’on cherche. — Si l’on ne se rappelle pas. Tout ce passage a été trouvé fort obscur par tous les commentateurs ; et de fait il est presque inintelligible en conservant la leçon ordinaire. J’ai pu y rétablir une clarté suffisante en déplaçant simplement un membre de phrase, et en mettant le premier celui qui d’ordinaire n’est que le second. Cette transposition n’est point autorisée par les manuscrits ; mais j’ai cru cependant pouvoir me la permettre, parce qu’elle suffit pour tout éclaircir. — Quand on est à GH, c’est-à-dire quand on va dans un certain sens ; et ici, par exemple, ce serait à droite, en ne s’en tenant qu’à l’exemple graphique et littéral. — J’ai adopté, du reste, la variante donnée par un manuscrit cité dans l’édition de Berlin. — Soit à D, c’est-à-dire à ce qui précède E à gauche. — Soit à E, c’est-à-dire à ce qui suit E à droite : tous les commentateurs ont reconnu qu’ici l’expression du texte était insuffisante. — Si l’on cherche G ou F. Ici encore le texte parait insuffisant ; mais les manuscrits n’offrent aucune variante ; et pour le rétablir, il faudrait supprimer ce membre de phrase, ou en supposer un autre tout entier, qu’il serait d’ailleurs facile de suppléer. — Et toujours de même. Si la série était plus longue que celle qu’on a supposée.

§ 10. Excite en nous le souvenir, L’acte de la réminiscence amène un souvenir entier. — Aller à F ou à D. Il aurait été peut-être plus clair de prendre l’une des deux lettres antérieures à C, au lieu de deux lettres qui le suivent. — L’acte de l’esprit produit cette succession. J’ai dû ici paraphraser le texte pour le rendre plus clair. — Qui sont contre nature. Cette antithèse est dans l’original. — Surtout quand on s’éloigne.... Le texte est beaucoup plus concis. — Estropie. Le texte dit mot à mot : « Fait un solécisme. »

§ 11. L’explication de la réminiscence. Ici finit la théorie de la réminiscence considérée à part. Le reste du chapitre sera consacré à la comparaison de la réminiscence et de la mémoire.

§ 12. De plus important ici, soit pour la réminiscence, soit pour la mémoire, auxquelles ces observations sont communes. — Quelques théories, celles d’Empédocle et de Platon ; voir plus haut, Traité de la Sensation, ch. II, §§ 4 et 5. — Ces choses, c’est-à-dire les grandeurs. — Quand elles n’existent pas. Il n’est pas besoin que la sensibilité s’applique à des choses actuelles et présentes pour que l’esprit les comprenne. Il suffit qu’il en ait reçu une fois l’impression pour qu’il se les représente même en leur absence. — Par un mouvement proportionnel. J’adopte la leçon que donne l’édition de Berlin : l’autre leçon, que donnent quelques éditions, est beaucoup moins satisfaisante, en ce qu’elle s’accorde moins bien avec le contexte, et qu’elle est moins précise.

§ 13. Quelle différence... Toute la pensée de ce paragraphe reste obscure, comme le remarque Michel d’Ephèse, quoique Aristote essaye de l’éclaircir par des lettres. Le sens général se comprend bien mais les détails sont très embarrassés. Aristote veut montrer par des figures géométriques qui sont proportionnelles, comment la proportion s’établit dans l’esprit entre les impressions qu’il a des objets et ces objets eux-mêmes ; et il soutient que, soit que l’on considère les réalités, ou les traces qu’elles ont laissées dans la mémoire, les rapports restent toujours les mêmes, et que l’esprit peut juger des uns aussi bien que des autres. — Ces choses-là mêmes avec des dimensions égales à celles de la réalité. — A des distances de temps. J’ai ajouté ces deux derniers mots qu’exige, ce me semble, la pensée pour être nette. — Prenons un exemple. Pour bien suivre cette démonstration, il faudrait tracer une figure géométrique qui serait construite de la façon suivante : un triangle dont le sommet serait en bas et la hase en haut, porterait à son angle inférieur la lettre A, à son angle de gauche la lettre B, à son angle de droite la lettre E. Deux ligues CD, FG seraient parallèles à la base. Ce premier triangle serait intérieur à un second disposé de la même façon, et portant les lettres K, L., H et I, répondant aux lettres A, F, C. B de l’autre. Sou angle de gauche serait marqué M. C’est là la figure qu’ont en général donnée les commentateurs, et à l’aide de la quelle on peut suivre le texte tel que je l’ai traduit. Les lettres varient beaucoup, comme on devait s’y attendre, d’un manuscrit à l’autre. Celles que j’ai adoptées s’accommodent à la figure que je liens de décrire. J’avoue, du reste, que la démonstration d’Aristote aurait été beaucoup plus claire s’il eût conservé la forme ordinaire. — Car ces lignes [FG, BE]. J’ai ajouté la parenthèse pour que la pensée fût tout à fait précise.

§ 14 . Quand le mouvement de l’objet, dans l’esprit, tout aussi bien que le mouvement du temps. — Acte de mémoire, et de réminiscence, comme l’ont remarqué les commentateurs ; car ceci s’adresse également aux deux phénomènes. — Seulement. J’ai ajouté ce mot pour faire sentir toute la force de la pensée. — Sans la mesure du temps, même remarque.

§ 15. Il semble assez difficile de justifier l’interposition de ce paragraphe, qui ne fait que répéter ce qui a été dit plus haut, ch. 1, § 1. Mais Aristote veut sans doute récapituler ici toutes les différences de la mémoire et de la réminiscence ; et il rappelle celle qu’il a déjà signalée antérieurement.

§ 16. Que par le temps. Il est probable que ceci veut désigner la durée plus ou moins longue qu’ont un acte de mémoire et un acte de réminiscence. — Une sorte de raisonnement, où intervient en partie une volonté libre et active, comme il est dit un peu plus bas.- De raisonnement, de syllogisme. J’ai mis les deux mots pour être plus clair, quoiqu’il n’y en ait qu’un seul dans le texte.

§17. Que le corps lui a transmise. Le texte dit simplement : « Dans une telle image, » Le contexte me semble justifier les mots que j’ai ajoutés. — Se ressouvenir, par réminiscence. — Aux gens mélancoliques. Cette observation, que l’on peut très aisément constater, est pleine de sagacité et de justesse. — D’arrêter leur réminiscence. Le texte est un peu moins précis. — Au siège de la sensibilité. Dans les théories péripatéticiennes, c’est le cœur, comme l’ont remarqué tons les commentateurs.

§ 18. Leur réaction même. Le texte est assez vague, bien qu’au fond la pensée soit assez claire. — Contre ces mêmes organes qui les ont excitées. Le texte dit simplement : « Contre le même. » J’ai cru devoir développer cette idée, qui, dans le texte, reste obscure. — Alors affecte, c’est-à-dire quand l’esprit n’est plus maître de lui-même.

§ 19. Sur le siège de la sensibilité. Voir plus haut la note du § 17. — Dès l’origine, c’est-à-dire à partir du premier moment qu’ils y ont été éprouvés. — Directement et facilement. Le texte n’a qu’un seul mot : « Aller tout droit. »

§ 20. Ceux qui sont trop jeunes. Voir plus haut une idée toute pareille, ch. 1, §, 6. Toutes ces observations physiologiques d’Aristote sont aussi exactes qu’ingénieuses : il n’est pas une faculté de l’esprit qui dépende plus que la mémoire de l’état général du corps et de sa constitution. Chacun peut s’en convaincre en s’observant soi-même. — A celles des nains. Les enfants ont en effet pendant très longtemps la tête tout à fait disproportionnée.

§ 21. Et sur l’acte qu’elle produit. Aristote prend ici un mot dont le radical est le même que celui du mot mémoire. Notre langue ne m’a pas offert d’égales ressources. — Je puis remarquer, en terminant ce petit traité, que depuis Aristote aucun psychologiste n’a traité de la mémoire plus profondément que lui. Ou peut voir ce qu’a fait l’École Écossaise.