Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/117

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notre responsabilité, la sainte mission à laquelle nous nous étions dévoués. Oui, dans ce moment, si l’on avait demandé à tous ceux qui survivaient encore le sacrifice de leurs vies pour défendre ce drapeau, pas un n’eût hésité ; non, pas un, je le jure en mon nom, je le jure au nom de mes camarades. Quant à moi, j’aurais combattu jusqu’au dernier soupir. Resté seul, je me serais enveloppé de ces haillons aux trois couleurs françaises et je serais tombé joyeux dans leurs plis sacrés comme dans le linceul le plus magnifique que puisse rêver un soldat.

Ah ! c’est que le drapeau, ce n’est pas un morceau d’étoffe qu’on puisse, surtout en un jour de bataille, regarder d’un œil froid. Le drapeau, pour tout homme de cœur, c’est la patrie, notre chère France, c’est son honneur militaire avec son glorieux passé, c’est le sol sacré de la patrie, notre village, le foyer paternel ; ce sont les mères, nos fiancées, nos sœurs. Oui, le drapeau est le symbole de tout ce que nous aimons. Tout cela passe confusément dans l’esprit du soldat qui regarde son drapeau et vient ranimer son courage et le disposer au sacrifice. Malheur à l’homme qui ne comprendrait pas ces nobles sentiments ! Malheur au peuple chez lequel périrait l’amour du drapeau national ! Le jour où un peuple en arriverait là, sa décadence serait certaine et sa ruine imminente.

Le combat continua donc. Officiers et soldats, chacun faisait le coup de feu avec fureur. Cependant le régiment qui voulait nous tourner exécutait son mouvement, et bientôt il parvint à l’extrémité du village. Notre capitaine [1]

  1. Le capitaine Guillaume. C’est un homme de cœur, d’une énergie indomptable, et qui s’est admirablement conduit pendant toute la campagne. Il ne voulut jamais entrer en Belgique avec nous, et gagna Méziéres par des chemins détournés, avec quelques hommes. Poursuivi par les Prussiens dans cette retraite, il reçut une balle dans le gras de la jambe. Un peu plus tard il fut envoyé en Normandie et fit campagne dans la basse Seine. Il eut le bras gauche emporté près de Gaillon. À peine remis, il reprit encore du service et fut dirigé sur Toulouse, où on lui confia d’importantes fonctions et où il reçut le grade, si dignement mérité, d’officier de la Légion d’honneur.