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enquête où j’ai procédé pas à pas, M. Bonnefon peut discuter mon argumentation, mais il est mal fondé à me reprocher d’avoir établi ma thèse sur un paralogisme initial qui n’existe, lui aussi, que dans son imagination.

La contradiction entre le début et la fin du chapitre de l’Amitié, relativement à la publication du Contr’un, m’a paru déceler une intention cachée. M. Bonnefon commence par nier cette contradiction, puis, se contredisant lui-même, il reconnaît qu’elle existe.

Il ne peut nier que Montaigne, après avoir annoncé qu’il va imprimer le Discours de la Servitude volontaire, déclare qu’il n’en fera rien. Mon explication est, qu’outré des abominations de la Saint-Barthélemy, il a lui-même communiqué ce discours aux huguenots pour qu’ils s’en servissent dans leurs vengeances, qu’il veut rappeler l’attention sur ce document, ne pouvant pourtant ni le reproduire ni l’avouer, puisqu’il l’avait modifié de manière à rendre impossible la paternité de La Boëtie. Pour échapper à cette interprétation, M. Bonnefon essaie d’établir que le chapitre de l’Amitié a été écrit avant la Saint-Barthélémy. C’est un argument analogue à celui qu’il a tiré de l’existence d’une édition des Mémoires de Charles IX en 1574. Il n’en est pas plus solide.

M. Bonnefon est, en effet, amené à présenter comme un fait certain une hypothèse toute gratuite. En mars 1571, Montaigne fit tracer sur les parois de son cabinet une inscription bien connue, indiquant les raisons de sa retraite. Or, il nous dit qu’il avait chez lui un artiste, peignant les fresques sur les murs de ce même cabinet, au moment où il écrivait le début du chapitre de l’Amitié. C’est donc en mars 1571, pense M. Bonnefon, ou à une époque assez rapprochée de cette date, que Montaigne a composé le début de ce chapitre, car le peintre de l’inscription est indubitablement celui des fresques. Singulière logique ! et n’est-ce pas le cas de crier au paralogisme ? Qu’est-ce qui prouve en effet que Montaigne n’a pas eu deux peintres, l’un en mars 1571 pour tracer l’inscription, et qui pouvait n’être qu’un peintre en bâtiments, l’autre pour les fresques, à une date quelconque, qui peut être 1571, mais qui peut être tout aussi bien 1572, ou toute autre année plus éloignée, puisque Montaigne n’établit lui-même aucun rapprochement entre la peinture de l’inscription et celle des fresques ?

Mais il y a mieux. Montaigne n’a pas pu écrire les premières pages du chapitre de l’Amitié en mars 1571. Le 10 août 1570, dans l’Avertissement au lecteur placé en tête des œuvres de La Boëtie, il déclare qu’il ne publie pas le Discours de la servitude volontaire, ne voulant pas l’exposer au « grossier et pesant air d’une si malplaisante saison » ; le livre contenant cet avertissement pa-