Page:Armaingaud - La Boétie, Montaigne et le Contr’un - Réponse à M. P. Bonnefon.djvu/27

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portance dont le gouverneur de Guyenne le chargea auprès de Montpensier n’est pas incompatible avec les idées de révolte que je lui attribue. Il ne pouvait refuser son concours sans appeler ou sans confirmer le soupçon d’infidélité, qu’il avait à ce moment le plus grand intérêt à écarter. Chez Montaigne une conduite pleine de prudence a souvent coïncidé avec des paroles ou des actes très hardis. Quoi de plus hardi, de plus téméraire même, que de flétrir la conduite et le caractère d’Henri III par des allusions outrageantes dans un livre dont il lui fait hommage, et d’oser se présenter à la cour pour se faire complimenter de son livre par le roi ? Montaigne aimait ces contrastes et comptait non sans raison sur son extraordinaire habileté, sur sa puissance de fascination, pour détourner les soupçons les plus naturels, et quelquefois les plus justifiés.

Enfin, M. Bonnefon apprécie tout autrement que moi la valeur morale de l’acte que j’attribue à Montaigne. Il me reproche, d’un accent évidemment convaincu, et non sans un grand luxe d’épithètes, d’avoir fait de l’auteur des Essais un sournois, un dissimulé, un Machiavel, un menteur, un comédien, un simulateur, un perfide, un profanateur de l’amitié, etc., etc.

Je ne me sens pas coupable envers Montaigne, et je porte d’un cœur léger le poids de ces objurgations. Écartant tout effet de rhétorique, et me gardant de mêler Spuller et Gambetta à la cause de Montaigne, je n’hésiterais pas à assumer la responsabilité d’un jugement formulé en ces termes.

Considérant qu’étant admis que des interpolations importantes ont été introduites dans le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boëtie, M. Bonnefon soutient que Montaigne ne saurait être l’auteur de ces interpolations, parce que, s’il en était l’auteur :

1° il se serait rangé parmi les fauteurs de désordres ;

2° il aurait fait preuve de lâcheté en attaquant le pouvoir sous un nom d’emprunt ;

3° il aurait trahi les opinions et compromis la réputation de son ami ;

« Considérant que la Saint-Barthélemy n’est pas, comme le pense M. de Vogüé du coup d’État de décembre et comme semble le croire M. Bonnefon, une simple « opération de police, un peu rude » ; que c’est un des plus grands crimes, peut-être le plus grand crime, de l’histoire, quoiqu’il ait été béni par le pape ;

Considérant que Catherine, Charles IX et Henri III, auteurs de la Saint-Barthélemy et de bien d’autres assassinats auxquels la Saint-Barthélemy n’avait pas mis un terme, s’étaient placés hors la loi, hors l’humanité ;