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Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/220

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QUELQUES POÈTES

 
ce que Nature avare a caché de trésors[1],
et ne recherche point, pour honorer sa vie,
de plus illustre mort, ni plus digne d’envie,
que de mourir au lit où ses pères sont morts.

11. Il contemple du port les insolentes rages
des vents de la faveur, auteurs de nos orages,
allumer des mutins les desseins factieux,
et voit en un clin d’œil, par un contraire échange,
l’un déchiré du peuple au milieu de la fange,
et l’autre à même temps élevé dans les cieux.

12. S’il ne possède point ces maisons magnifiques,
ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques,
où la magnificence étale ses attraits,
il jouit des beautés qu’ont les saisons nouvelles,
il voit de la verdure et des fleurs naturelles,
qu’en ces riches lambris l’on ne voit qu’en portraits.

13. Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude,
et vivons désormais loin de la servitude
de ces palais dorés où tout le monde accourt.
Sous un chêne élevé les arbrisseaux s’ennuient,
et devant le soleil tous les astres s’enfuient,
de peur d’être obligés de lui faire la cour.

14. Après qu’on a suivi sans aucune assurance
cette vaine faveur qui nous paît d’espérance,
l’envie en un moment tous nos desseins détruit.
Ce n’est qu’une fumée, il n’est rien de si frêle ;
sa plus belle moisson est sujette à la grêle,
et souvent elle n’a que des fleurs pour du fruit.
 
15. Agréables déserts, séjour de l'innocence,
où loin des vanités, de la magnificence,
commence mon repos et finit mon tourment ;
vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
si vous fûtes témoin de mon inquiétude,
soyez-le désormais de mon contentement[2]

  1. Fouiller signifie ici non point creuser, mais chercher en creusant.
  2. Œuvres complètes de Racan, édition Tenant de Latour, t. I,
    p. 196.