Page:Asselineau - La Double Vie, 1858.djvu/238

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partir d’un air de compassion, et je l’entendis dire :

« Pauvre jeune homme ! il est fou… quel dommage ! »

II

Fou !… L’étais-je, en effet ? Vous comprendrez tout à l’heure pourquoi je ne puis plus avoir une idée nette du sens que les hommes attachent à ce mot.

La vérité est que, pendant un certain temps, je perdis la conscience de mon être.

Quand je revins à moi, j’étais au milieu de la place du Carrousel. Je m’aperçus alors que j’avais la tête nue et que j’étais enveloppé d’un ample manteau que je me souvins d’avoir pris en passant dans l’antichambre, mais qui, je le crois, ne m’appartenait pas.

Je marchais, je courais sur les dalles blanches et sèches. En peu d’instants j’eus traversé la place, et je me trouvai sur le pont.

Le crépuscule étendait sur les quais ses nappes grises, et étouffait dans leurs globes de papier huilé les rouges luminaires des marchandes nocturnes ; les charrettes des maraîchers s’acheminaient, sautant bruyamment sur leurs essieux.

Il me sembla que c’était là une bonne heure pour prendre congé de cette ville et de ce monde.

Le Paris que je connaissais, mon Paris à moi,