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deux tantes, deux petites filles, lui avait dit André — il allait falloir être poli, dire bonjour, répondre aux questions et comment prévoir ce qu’ils pourraient lui demander ? S’ils lui parlaient de son père, que dirait-il ? Son inquiétude lui donnait l’air sournois, il n’osait regarder en face la grand’mère et attendait comme un renfort la venue de Jacques Normand et de sa femme ; aussi fut-il très déçu d’apprendre qu’ils étaient repartis pour Paris avant le jour. André, seul, lui, restait, et il s’attachait à lui, le suivant pas à pas, se sentant perdu aussitôt qu’il en était éloigné d’un mètre.

Devant la maison, dans le jardin plein de phlox mauves et d’œillets d’Inde, des fauteuils de fer et une table ronde peints en vert parurent à Jean le comble de l’élégance et du confort. Dans le grand poulailler à ciel ouvert, sur la pente raide de la colline, ils trouvèrent, comme dans une arche de Noë, toutes sortes de bêtes : lapins sautant l’oreille en l’air, poules blanches, poussins jaunes, pigeons blancs, oies, canards au ventre lourd.

André fit à Jean les honneurs du village, presque toutes les maisons étaient accotées à la colline ou même à la roche comme celle des Normand ; les rideaux de filet rappelaient que la région était celle de la broderie. Une église et, dans son jardin, un monument aux morts, des fontaines où les vaches aspirent l’eau matin et soir : c’était Frotey. Par delà les grandes prairies et la voie du chemin de fer s’égaillait Vesoul au pied de la Motte.

Quand ils revinrent sur la route de Champdamoy, Jean se sentit déjà chez lui, c’était là qu’il habitait, dans cette grande maison blanche à volets blancs.

C’était une vieille maison campagnarde à un étage, mi bourgeoise, mi paysanne. Sa blancheur uniforme, la vierge qui nichait au-dessus de la porte sous l’unique balcon, lui donnaient un air de communiante fanée. À la grille du jardin, près de la sonnette de cuivre brillant, sur une plaque de marbre noir gravé en lettres d’or on lisait « Normand, Brodeur ».

André tira la sonnette et Rita, la chienne noire, arriva en aboyant, pour retourner joyeuse à la porte de la maison que Thérèse venait d’ouvrir.

C’était une jeune fille de dix-neuf ans, vêtue d’une robe blanche à ceinture rouge. Ses cheveux courts, encore mouil-