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Page:Association des anciens élèves de l’École normale, 1886-1889.djvu/532

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ASSOCIATION DES ANCIEN ÉLÈVES

s’était donnée pour écrire deux colonnes sur Lajoue : il avait dépouillé, pour trouver des documents, soixante-douze volumes du Mercure de France !. Ce travail était ingrat : il essaya d’autre chose et écrivit quelques nouvelles. L’une d’elles, les théories du docteur Würtz, se trouva dépasser un peu le cadre du Magasin Pittoresque. Elle fut reçue à la Revue des Deux-Mondes, qui demanda presque aussitôt à l’auteur une seconde nouvelle. Girardin lui donna le Fiancé de Lénora, qui eut autant de succès que la première. Ce succès était plein de promesses pour l’avenir.

En attendant cet avenir, le présent était triste pour Girardin à cette année 1870. Il perdait sa femme au mois de juin, et peu de temps après, la guerre venait aggraver sa situation de père chargé seul de deux filles dont la plus jeune marchait à peine. Quand on sut que Versailles allait être le quartier-général de l’armée allemande, Girardin disparut tout à coup. Où était-il allé ? S’était-il enfui, comme tant d’autres, dans des parages lointains ? Non : il était allé tout simplement mettre ses filles à l’abri chez des parents de province ; et au bout de quelques jours il revint prendre l’uniforme et le fusil de garde national. Là encore il fit son devoir gaîment, plaisantant sur son embonpoint qui le rendait impropre aux longues étapes, mais se déclarant très bon à être mis en sentinelle au coin d’un bois et à se faire tuer tout comme un autre.

Il soutint sans faiblir les cinq mois de l’occupation prussienne. Inquiet pour la patrie, inquiet pour ses enfants dont il n’avait pas de nouvelles, il sut faire taire ses préoccupations et parler un langage encourageant à ses compagnons de captivité ; car c’était bien une captivité, puisque personne ne pouvait sortir de la ville. À la table d’hôte, où il lui fallait manger dans la même salle que les vainqueurs, il leur fit souvent entendre d’ironiques vérités, dont ils n’osaient pas se fâcher, sentant vaguement que leur colère les rendrait odieux ou ridicules. Il fallait l’entendre raconter son voyage, lorsque pendant l’armistice il put aller chercher ses filles en Touraine. À un certain village il dut faire nourrir de pain et de vin le cheval qui le traînait : le pays était tellement dévasté qu’on n’avait pu y trouver ni foin ni avoine. Il était touchant, parlant du plaisir qu’il avait eu à voir manger le pauvre animal.

Après la guerre, le Magasin Pittoresque reparut et Girardin se remit à y écrire. Mais à cette époque, nouvelles et articles n’y étant pas signés ne pouvaient donner aucune notoriété à leurs auteurs ; et les chefs de la maison Hachette, en quête de rédacteurs pour un journal qu’ils voulaient fonder n’auraient jamais connu l’existence de Girardin s’il ne leur était pas arrivé de lire les Théories du docteur Würtz. Ils cherchèrent l’auteur, s’entendirent vite avec lui, et le Journal de la Jeunesse commença sa carrière avec les Braves gens, de Jules Girardin. C’était bien commencer, car les Braves gens furent couronnés par l’Académie.

Après les Braves gens vinrent : Nous autres, Fausse route, l’Oncle Placidus, Grand-père, qui valut à l’auteur d’être une seconde fois lauréat de l’Académie, l’Histoire d’un Berrichon, le Roman d’un cancre, le Capitaine Bassinoir, Second violon, et tant d’autres : chaque année voyait éclore un ou plusieurs volumes, tous différents, tous originaux, ayant tous pourtant, comme un air de famille, un même caractère de bonté souriante, d’indulgence, de pitié, de gaîté encourageante, d’esprit vif et charmant. Tout cela, on le retrouve dans les innombrables petites nouvelles qu’il donnait à différents journaux, on