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INTRODUCTION.

en marquer l’originalité, il faut joindre une sensibilité fort chatouilleuse sur le point d’honneur et non exempte de vanité, un ton passionné et mordant, un air de bravade chevaleresque ou plutôt de défi jusque dans les moindres ripostes.

La guerre attirait le jeune calviniste ; pour prendre part aux luttes religieuses de la France, il avait quitté Genève, sans prévenir son tuteur, et regagné la Saintonge. À son arrivée, son tuteur l’avait prudemment enfermé pour calmer son enthousiasme ; mais un beau soir, d’Aubigné « se dévala par la fenestre par le moyen de ses linceulx, en chemise, à pieds nuds, »[1] et il alla rejoindre un corps de partisans qui luttaient en Poitou pour la « Cause ». C’était l’époque de la troisième guerre civile (1568). D’Aubigné y prit une part active et assista à presque tous les combats qui se livrèrent dans l’ouest de la France. La paix de Saint-Germain lui créa des loisirs : c’est alors qu’il s’éprit de Diane Salviati. Il s’abandonne à cet amour avec toute la fougue de sa jeunesse, il chante sa passion dans une série de petits poèmes qu’il a réunis sous le titre de Printemps ; durant deux années (1572 et 1573) il vit presque uniquement au château de Talcy aux côtés de Diane, oublieux des combats. Son plus cher désir était d’épouser la jeune fille ; mais le mariage, si on l’en croit, fut rompu « sur le différent de la religion » : à vrai dire, la lecture du Printemps permet de supposer que Diane n’aimait point d’Aubigné ; c’est elle-même sans doute qui pour des raisons de sentiment se refusa à ce mariage.[2] D’Aubigné éprouva de cet échec une douleur profonde et il fit une grave maladie. À peine remis de cette secousse morale et physique, il devint, en 1573, après la paix de la Rochelle, l’écuyer d’Henri de Navarre. À la cour de Charles IX, puis d’Henri III, où il partagea la captivité de son maître, il brillait au premier rang des beaux esprits à la mode ; pour le divertissement de la cour il composait un ballet, il inventait mille distractions ingénieuses ; il faisait partie de cette Académie royale qu’avait fondée Charles IX et qui réunissait au Louvre des courti-

  1. Cf. I, 12, Vie.
  2. Cf. Charles Monod, La jeunesse d’Agrippa d’Aubigné.