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INTRODUCTION.

II

Les Tragiques.


Tout inspirés de l’esprit et des passions du xvie siècle, écrits dans une langue qui devait paraître bien archaïque, les Tragiques passèrent presque inaperçus en 1616 : ils ne répondaient plus aux préoccupations politiques ni aux idées poétiques du temps. Mais ce serait une grave erreur que d’y voir une œuvre appartenant tout entière à l’école de la Pléiade.

Sans doute d’Aubigné s’est réclamé volontiers de Ronsard : il a subi comme tous ses contemporains le prestige de cette éclatante renommée, et jusque dans l’Épître aux Lecteurs de ses Tragiques, jusque dans des lettres de sa vieillesse (cf. I, 457), il met Ronsard au-dessus de tous les autres poètes français. Le Printemps n’est même qu’une pâle et trop fidèle imitation des procédés poétiques de la Pléiade[1]. — Mais précisément la distance est immense du Printemps aux Tragiques. Une conception de la poésie très différente de celle de la Pléiade est réalisée dans ce grand ouvrage, et l’inspiration poétique, puisée à des sources nouvelles, y a pris des caractères tout nouveaux.

I

À vrai dire, cette conception nouvelle de la poésie n’appartient pas en propre à d’Aubigné : elle est étroitement liée aux circonstances historiques et à l’évolution générale de la poésie à cette époque. Cherchant ses modèles et son idéal dans l’antiquité païenne, indifférente aux passions et aux événements contemporains, dédaigneuse même de l’applaudissement du vulgaire, la poésie de la

  1. Il n’est pas sans intérêt non plus de remarquer que les premiers vers que publia d’Aubigné furent des Vers funèbres en l’honneur d’Estienne Jodelle (1574), et qu’à l’imitation des plus hardis novateurs il fit des Vers mesurés.