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Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/52

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aggripa d’aubigné

Il vid Rome tremblante, affreuze, eschevelee,[1]
10 Qui en pleurs, en sanglots, mi-morte, désolee,
Tordant ses doigts, fermoit, defendoit de ses mains
À César le chemin au sang de ses germains.
Mais dessous les autels des idoles, j’advise[2]
Le visage meurtri de la captive Église,
15Qui à sa délivrance (aux despens des hazards)[3]
M’appelle, m’animant de ses trenchans regards.[4]
Mes désirs sont des-ja volez outre la rive
Du Rubicon troublé : que mon reste les suive[5]
Par un chemin tout neuf, car je ne trouve pas[6]
20Qu’autre homme l’ait jamais escorché de ses pas.
Pour Mercures croisez, au lieu de Pyramides,
J’ai de jour le pilier, de nuict les feux pour guides.[7]


12. Au lieu de ses germains T.

  1. 9. Réminiscence de Lucain, 1, 185 :
    Ut ventum est parvi Rubiconis ad undas,
    Ingens visa duci patriae trepidantis imago,
    Clara per obscuram vultu maentissima noetem
    Turrigero canas effundens vertice crines,
    Caesarie lacera nudisque adstare lacertis…
  2. 13. J’advise. Sur ce d non prononcé et introduit par une fausse étymologie dans l’orthographe de ce mot de formation purement française, cf. Thurot, De la pron. franc., II, 355.
  3. 15. Aux despens des hazards. Quels que soient les dangers que j’aie à courir. Ce sens de hasard s’explique par l’histoire du mot qui signifiait à
    l’origine coup de six aux dés, d’où chance, puis risque et enfin danger.
    Cf. IV, 75, Princes : « Il [le flatteur] faict vaillant celuy qui n’a veu les
    hazards. » IV, 277, Jug. : « Or, courez aux assauts, et volez aux hazards. »
  4. 16. Trenchans, perçants. Cf. III, 80, Print. : « Et vous, regars tranchans qui espiés ces lieux. »
  5. 18. Que mon reste les suive. C’est l’acte lui-même opposé au simple désir. Opposition familière à d’Aubigné. Cf. v. 1072.
  6. 19. Je ne trouve pas. D’Aubigné écrit tantôt je trouve comme ici, et v. 533 (attesté par la rime louve) tantôt je treuve, v. 137 (attesté par la rime preuve). Sur cette coexistence au seizième siècle des formes phonétiques et des formes analogiques, cf. Thurot, I, 454.
  7. 21-22. Image biblique. Voir Exode, XIII, 21 : « L’Éternel allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour les guider dans leur chemin,
    et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer. » D’Aubigné prend
    en effet pilier dans le sens de colonne de nuée.
    Le pillier du nuage à midi nous conduit,
    La colonne de feu nous guidera la nuit. (IV, 207, Fers.)