Donne poison, cordeau, le fer, le precipice.
Ce ne sont pas les Grands, mais les simples paisans,
Que la terre conoit pour enfans complaisans.
La terre n'aime pas le sang ni les ordures :
Il ne sort des tyrans et de leurs mains impures[1]
Qu’ordures ni que sang ; les aimez laboureurs
Ouvragent son beau sein de si belles couleurs,
Font courir les ruisseaux dedans les verdes prees
Par les sauvages fleurs en esmail diaprees ;
Ou par ordre et compas les jardins azurez[2]
Monstrent au ciel riant leurs carreaux mesurez ;
Les parterres tondus et les droites allees
Des droicturieres mains au cordeau sont reglees ;[3]
Ils sont peintres, brodeurs, et puis leurs grands tappis
Noircissent de raisins et jaunissent d’espics.[4]
Les ombreuses forests leur demeurent plus franches,
Esventent leurs sueurs et les couvrent de branches.
La terre semble donc, pleurante de souci,
Consoler les petits en leur disant ainsi :
« Enfans de ma douleur, du haut ciel l'ire esmeuë[5]
Pour me vouloir tuer premierement vous tuë.
Vous languissez, et lors le plus doux de mon bien
Va saoulant de plaisirs ceux qui ne vallent rien.
274. Le fer ou precipice A. || 289. Leurs demeures plus franches T.
- ↑ 278. Ni que sang. Sur l’emploi, dans certaines phrases de sens négatif, de la négation ni là où nous mettrions la conjonction et, cf. Darm. et Hatzf., p.288.
- ↑ 283. Compas. Cf.III, 414, Créat. : par compas et mesure ; III, 418, Créat.:
Somme c’est [l’œil] le niveau, le conpas et la regle
Par lesquelz est conduyt ce corps estant au siecle. - ↑ 286. Droicturiers, qui observent la droiture. Cf.III, 328, Créat. :
Un Dieu lequel preside
Sur tout, et qui d’un frain droyturier ce tout guyde. - ↑ 288. Espics. Il va sans dire que cette orthographe, faussement étymologique, ne trouble que pour l’œil l’exactitude de la rime. Cf. Thurot, II, 67.
- ↑ 293. Enfans de ma douleur, vous que j’ai enfantés dans la douleur.