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AGRIPPA D'AUBIGNÉ


Du sein qu’ils empoignoyent, des tetins asséchez.
Ou bien, quand du soldat la diette alouvie
Tiroit au lieu de pain de son hoste la vie,
355Vengé, mais non saoulé, père et mère meurtris
Laissoyent dans les berceaux des enfans si petis
Qu’enserrez de cimois, prisonniers dans leur couche,[1]
Ils mouroyent par la faim ; de l’innocente bouche
L’ame plaintive alloit en un plus heureux lieu
360Esclatter sa clameur au grand throne de Dieu ;[2]
Cependant que les Rois parez de leur substance
En pompes et festins trompoyent leur conscience,
Estoffoyent leur grandeur des ruines d’autrui,[3]
Gras du suc innocent, s’egayants de l’ennuy,[4]
365Stupides, sans gouster ni pitiez ni merveilles,[5]


354. Au lieu du pain T. || 362. Leurs consciences AB. Pour cette faute typographique, cf. la notice sur le texte. |] 363-366. Ces quatre vers manquent dans la première édition.

  1. 357. Cimois, lisières pour attacher les enfants dans leurs berceaux. Cf. v. 513 et Hist. univ., I, 15 (écrit simois). Lacurne de Sainte Palaye cite un exemple de Marguerite de Navarre, Marg. de la Marg. : « Dans leurs langeons et drappeaux et simois. » C’est la forme cimois qui est la bonne. On peut en effet retrouver l'étymologie du mot : c’est le latin cimussa, lanière (cf. le lexique de Châtelain). Pour expliquer l’i de la forme cimois, il suffit de supposer une forme adjectivée, cimusseus, qui phonétiquement convient. On sait que souvent des adjectifs analogues ont donné des substantifs français. Cf. lange = lanea.
  2. 360. Esclatter, pris activement. Emploi fréquent au seizième siècle. Cf. III, 61, Print. :

                            Je confesse, j’eu tort, quand d’un accent amer,
                            Sans feindre, j'esclatay mes passions sans feinte.

    Cf. v. 451, un exemple de ce mot pris dans le même sens, mais intransitivement.
  3. 363. Estoffoyent, donnaient comme matière à, fondaient sur. Estoffe signifie en effet très souvent matière, par opposition à forme. Cf. II, 208, Médit. : « Et nous mesmes ne nous promettons rien, pour l'estoffe, qui est en nous ; mais beaucoup pour les formes qu’y a employé celui seul qui de rien fait tout. »
  4. 364. S’egayants. Sur l’accord du participe présent avec le mot auquel il se rapporte, cf. Darm. et Hatzf. p. 270. Voir v. 120, 159, 224, 291, 308, 366, etc.
  5. 365. Cf. v. 1293, 1333 ; et IV, 273, Jug. :
                                                                Pour les hautes merveilles
                            Les Pharaons ferrez n’ont point d’yeux ni d’oreilles.