Un portraict reprochant, miroir de son miroir,[1]
Dont la reflexion de coulpable semblance[2]
Perce à travers les yeux l’ardente conscience.
Les ongles brisent tout, la faim et la raison[3]
Donnent pasture au corps et à l'ame poison.
Le Soleil ne peut voir l'autre table fumante :
Tirons sur cette-ci le rideau de Thimante.[4]
Jadis nos Rois anciens, vrais pères et vrais Rois,
Nourrissons de la France, en faisant quelquesfois
Le tour de leur païs en diverses contrées,
Faisoyent par les Citez de superbes entrées.
Chacun s’esjouïssoit, on sçavoit bien pourquoy ;
Les enfans de quatre ans crioyent : vive le Roy !
555-558. Ces quatre vers manquent dans la première édition. || 556. Vif pourtraict T. || 560. Donne T.
- ↑ 556. Miroir de son miroir. Mère et enfant se ressemblant, on peut dire que l'enfant est miroir de sa mère, en laquelle il se mirait lui-même : d’où la bizarre expression de d’Aubigné. — Reprochant. Ce visage, qui lui rappelle le sien, est pour la mère un muet reproche.
- ↑ 557. L’image de l'enfant, en se réfléchissant dans ce miroir que sont les yeux, de sa mère, image dont la ressemblance fait l’horreur du crime (coulpable semblance), ne frappe pas seulement les yeux de la mère, mais va éveiller dans sa conscience le remords qui la poursuit déjà. — Semblance, ressemblance. Sembler signifiait très souvent ressembler. Cf. I, 544, Lettres : « Certes la leur [leur religion] est trop parée, et semble ces vieilles courtizanes… »
- ↑ 559-560. Ces vers offrent un exemple d’une construction fréquente chez d’Aubigné et qui est un jeu poétique familier à tous les poètes du seizième siècle (Voir en particulier, Du Bellay, éd. Marty-L., II, 300 : sonnet à Cerès, à Bacchus et à Palès). Ici là phrase se résout ainsi : la faim donne pâture au corps, la raison donne à l’âme poison. Cf. v. 597, 714, 1285 ; on trouvera IV, 214, Fers, un exemple singulier de ces vers rapportés :
On pipa de la paix et d’amour de son Roy,
Comme lui pescheur, chasseur ou oiseleur appelle
Par l’apas, le gaignage ou amour de femelle,
Soubs l'herbe, dans la nasse, aux cordes, aux gluaux.
Le poisson abusé, les bestes, les oiseaux.
Voir encore III, 153, Print., Ode XVII, et surtout IV, 336, Sonn. épigr., XV. - ↑ 562. Thimante. Cf. Pline, XXXV, 36, et Cicéron, Orator, XXII.
encore IV, 158, Feux (Agnez,agneaux) ; 180, Feux (vie, envie) ; III, 27, Print. (rame, lame.)