Page:Audiat - Un poète abbé, Jacques Delille, 1738-1813.djvu/37

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Ô toi l’inspiratrice et l’objet de mes chants,
Qui joins mes accords des accords si touchants,
Hélas ! lorsque mes yeux appesantis par l’age
S’ouvrent à peine au jour, plus d’un charmant ouvrage
Était perdu pour moi mais à ma cécité
Ta secourable voix en transmet la beauté…[1]


L’éditeur a ajouté une note : « Mlle Vaudchamp, douée d’une voix charmante et très bonne musicienne, a réussi à chasser les chagrins de M. Delille par ses accents ; elle s’est associée à toutes ses peines et quelquefois même à ses travaux ; ses soins assidus ont été d’un très grand secours à M. Delille pour la composition et la publication de ses ouvrages. Le poète l’a appelée quelquefois son Antigone et elle mérite ce titre touchant par sa conduite envers son père et sa propre famille. M. Delille, qui n’a jamais été dans les ordres, comme on a voulu le faire croire, a acquitté envers Mlle Vaudchamp la dette de la reconnaissance ; il lui a donné son nom. » C’est à Londres qu’il se maria. Encore qu’il n’eût reçu que les ordres mineurs, juste ce qu’il fallait pour jouir d’un bénéfice ecclésiastique et prendre le titre d’abbé avec le petit collet, Delille demanda et obtint facilement une dispense.

Les médisants ont eu beau jeu et les anecdotiers se sont plu à parler de ce singulier ménage. Mme Delille, malgré son nom, était restée Mlle Vaudchamp. Bonne femme au fond, dévouée à son mari, elle n’avait pu acquérir les manières du monde et l’usage des salons que ne lui avait pas appris son éducation première. Dans une position fort aisée, elle avait gardé un peu de la parcimonie où avait vécu sa jeunesse. Son économie passait pour de l’avarice. Giguet et Michaud, libraires à Paris, avaient un traité avec le poète pour tous ses ouvrages ; ils payaient six francs par vers, bons ou mauvais : ils donnaient en plus trente sous à la demoiselle. C’était elle qui réglait la dépense de la maison ; elle avait intérêt à ce que le revenu ne diminuât pas. Aussi imposait-elle au poète un certain nombre d’hémistiches par jour, 30 vers avant de

  1. La Pitié, chant 1er, p. 45.