Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/100

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à écrire sur l’ardoise. Clémence l’accusait de la perdre exprès, par paresse pour ne plus avoir à écrire. Reine se défendait et pleurait : « Non, pas exprès ». Si, assurait Clémence, puisqu’elle l’emporte au dehors au lieu de la laisser en classe comme tout le monde.

Reine que j’interrogeai doucement m’avoua qu’elle emportait en effet sa craie, mais que c’était pour faire comme le petit Jésus qui la portait sur son épaule, en allant à l’école.

J’essayais d’expliquer la différence.

— Mais Reine, ce n’est pas sa craie qu’il portait sur son épaule, le petit Jésus, c’est sa croix. Une grande croix comme celle qui est sur la place de l’église, comprends-tu ?

— Oui, dit Reine. Et après un instant de réflexion elle demanda :

— Comment qu’il faisait pour écrire avec ?

Maintenant elle va sur ses sept ans, et si elle n’aime pas l’école, en revanche, elle aime les histoires, et rien ne lui plaît plus que d’entendre chanter sa mère. Ses préférences vont aux chansons qui réclament de la pitié, et s’il arrive à Manine de s’arrêter au beau milieu d’un de ces airs tristes et lents qu’elle déroule comme inconsciente, Reine ne lui laisse pas de paix qu’elle ne sache la suite.

Le soir, avant d’aller se coucher, elle se plaît à grimper sur mes genoux. Elle niche sa tête au creux de mon épaule. Et là, son petit corps bien serré contre le mien, elle essaye de compter les étoiles que le bon Dieu, dit-elle, dépose dans ses prés pour les éclairer.