Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/11

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rant que tout allait bien à la maison, et mon père agacé par mon insistance finit par me dire :

— Ne te mets pas ainsi en peine. Personne n’est indispensable en ce monde.

Heureusement, mes parents amenèrent bientôt avec eux toute la petite famille.

Non, je n’étais pas indispensable à la maison et je dus en convenir quoique j’en fusse un peu mortifiée. Les jumeaux avaient bonne mine et ils gardaient un air si sage que je ne trouvais aucune recommandation à leur faire.

C’est grand-mère qui nous avait élevés tandis que nos parents travaillaient. À sa mort, trois ans plus tôt, j’étais déjà grande et forte et ma mère avait décidé que je resterais à la garde des jumeaux, et qu’on m’adjoindrait une femme de ménage pour m’éviter les gros travaux.

Ainsi, tout avait bien marché, nos parents très unis ne se plaisaient qu’auprès de nous. Notre père passait ses veillées à fabriquer des jouets pour les petits. Et pendant les vacances notre mère nous emmenait dans la petite maison qu’elle possédait, tout près de chez son frère, que nous appelions oncle meunier, et dont le moulin tournait sur une jolie rivière descendant à la Loire.

Brusquement tout avait changé. Des discussions, puis de véritables disputes s’étaient élevées entre nos parents et cela n’avait fait qu’augmenter jusqu’au jour où face à face, comme deux ennemis aveuglés de rage, ils avaient été si près de se frapper.

Maintenant la paix paraissait faite entre eux, ils se parlaient avec douceur et toute trace de rancune était effacée de leur visage.