Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/17

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rison. Après des semaines et des semaines de souffrance, il va me falloir rester des mois et des mois, sans essayer de marcher, même avec des béquilles. Ainsi en a décidé le médecin de l’hôpital après un dernier examen de mon mal.

À mes parents anxieux des suites de l’accident, il a répondu d’un ton sec :

— Boiteuse ? Elle le sera certainement.


Lorsque nous arrivons dans la petite gare de la Haie, oncle meunier s’élance plutôt qu’il ne monte dans notre compartiment. Il a un air fâché que je ne lui ai jamais vu. Et, sans embrasser sa sœur ni tendre la main à son beau-frère, il me soulève de la banquette et m’emporte jusqu’à la voiture longue et basse, dans laquelle je passerai dorénavant toutes mes journées. En traversant le village, j’éprouve une grande honte à être vue dans cette voiture d’infirme. La nuit, heureusement, commence d’assombrir la campagne, et si beaucoup de portes sont ouvertes à cause de la douceur du printemps, il y a par contre très peu de gens dehors.

Le trajet se fait en silence. Mes parents marchent de chaque côté de moi, et leur pas, et celui d’oncle meunier font à peine plus de bruit sur le gravier que les roues caoutchoutées de ma voiture.

Le village dépassé, nous suivons la route qui descend à la rivière et la longe jusqu’au moulin. Tante Rude nous attend au bout du chemin. En approchant, je vois bien que c’est son mari qu’elle regarde et non pas nous. Elle se tient plus droite