Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/198

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Chatellier, il me semble l’avoir connu dans une vie qui n’est pas celle-ci. De lui, je n’aperçois plus rien de distinct. C’est une ombre qui revient de très loin et qui s’en retourne encore plus loin.

Après la mort de mon enfant, Firmin craignant pour ma propre vie avait tout raconté à oncle meunier qui s’était rendu auprès de Valère avec la certitude d’une réconciliation immédiate. Il était si étonné de cette séparation !

Qu’avait dit Valère en apprenant à son tour la vérité ? Rien de bon à mon sujet sans doute ; autrement, le cher oncle n’eût pas hésité à me le rapporter. Il n’avait su que pleurer sur mon sort en me disant :

« Valère était ivre quand il est venu à mon appel mais en me quittant il était certainement plus ivre de chagrin que de vin. »

Oncle meunier s’est trompé ; Valère Chatellier n’était ivre que de vin, car, depuis ce jour, personne parmi nous ne sait rien de lui.


Reine s’ennuie à Paris. Tout l’hiver elle a regretté la neige du moulin, cette neige éblouissante que rien ne venait ternir et qu’elle retrouvait le matin posée au creux des branches par petits bouquets comme des fleurs mystérieusement écloses pendant la nuit.

Maintenant que nous sommes au printemps, elle regrette la basse-cour où chaque volaille avait son nom. Elle regrette le pré sur lequel elle pouvait se rouler dans l’herbe haute, mais surtout, elle regrette les haies fleuries qui se trouvaient sur le chemin de l’école.