Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les moindres recoins. Il en a mis dans des endroits pierreux où il semblait que rien ne dût pousser jamais. Il en a mis tant et tant devant la maison qu’elles ont envahi sentiers et pelouse et s’étendent jusqu’à la route comme un magnifique parterre de toutes couleurs.

Dans cette maison tout entourée de fleurs, les jeunes époux font des projets d’avenir. Encore quelques mois et Firmin sera libéré. Sa femme possède une somme suffisante pour monter un petit commerce, mais si Valère Chatellier s’installe à Paris dès l’automne, ainsi qu’il le promet, Firmin sera trop heureux de s’associer avec lui. La jolie maison de Rose deviendrait alors un lieu de repos pour vacances et jours de fête.

À mes doutes sur l’installation de Valère à Paris, Firmin a répliqué qu’il ne fallait jamais fouiller dans le passé ; que les lettres de son ami étaient maintenant très suivies et pleines de bon sens, et que, s’il n’était pas de retour déjà, c’est qu’il avait à Nice des affaires qu’il ne pouvait abandonner sans risquer d’en perdre le bénéfice. Et, comme pour excuser plus encore Valère, il s’est moqué un peu :

— Écoute, Annette, il faut du temps aussi pour se guérir du bon vin.

Afin de ne rien perdre de ma joie du moment, j’évite de fouiller dans le passé, ainsi que le conseille Firmin. Et, si le passé s’ennuyant de moi tente de me rejoindre au jardin, au bois ou à la vigne, je rentre vite à la maison où deux voix amies font une musique sonore et joyeuse qui intimide la tristesse et l’empêche d’entrer.