Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/35

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Auprès de Firmin, je m’attardais comme auprès d’un divertissement à cause de la variété de ses jeux qu’il menait, la plupart du temps, comme des faits réels. Il imitait avec une perfection déconcertante les bruits confus de la ville et l’affairement d’une multitude de gens dans une circulation difficile. Dans ces moments-là les jumeaux restaient tranquilles pour l’écouter, et nos parents eux-mêmes prenaient plaisir à le voir et à l’entendre.

Un soir, assis à califourchon sur une chaise qu’il malmenait à en briser les quatre pieds, il se lançait à bicyclette, disait-il, à travers la cohue des voitures et des piétons, sonnant du grelot, faisant jouer sa trompe, et se fâchant après les maladroits qui traversaient trop court devant son guidon. Et tout à coup, arrivant à une rue barrée où se tenait un agent de police, il s’était immobilisé sur sa chaise en me regardant et rougissant de tout le visage. Inquiète, j’avais demandé : « Tu t’es fait mal ? » Et lui, véritablement troublé, avait répondu : « Je n’ai pas de plaque à ma bicyclette, et j’ai peur que l’agent me demande mes papiers ».

Et j’entendais encore le rire éclatant de nos parents, et je me souvenais du claquement joyeux des baisers répétés qu’ils avaient mis sur nos joues, ce soir-là, au moment du coucher.

Oh ! chers et doux souvenirs, comme vous étiez clairs et précis, et comme vous mettiez en fuite le temps et les soucis. Tante Rude pouvait se fâcher et crier, le soleil pouvait bouder derrière ses nuages, la pluie pouvait tomber à verse ou noyer de brouillard toute la campagne, rien de tout cela ne m’attristait. Il y avait à Paris une