Page:Audoux - Douce Lumiere.djvu/151

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porté à la gare une petite malle. Et ce matin, par un vent humide qui ronfle, tourne et soulève les cailloux de la route, Églantine Lumière s’en va. Elle part de Bléroux seule, et la tête haute, ainsi que le lui a conseillé Mlle Charmes. Des gens sortent de leur maison pour lui souhaiter bon voyage. À peine si elle les entend. Elle a pour chacun d’eux le même sourire qui remercie, et le même mot qui laisse prévoir son retour. En approchant de la ferme elle aperçoit Luc qui se hâte de rentrer comme pour l’éviter. Devant la porte il ne reste que la Plate. Qu’elle est grande, et maigre, et hardie ! Sur son visage Églantine lit sa ruse et sa ténacité. Que Luc doit être malheureux sous sa domination. Cette pensée ne l’attriste pas. Où eut-elle pris de la pitié pour ce méchant, qui lui avait fait à l’âme une plaie si envenimée qu’elle ne devait jamais guérir. Et ce fut comme si elle rendait un soufflet lorsqu’elle dit en elle-même : « Oh ! Luc, vous non plus n’êtes pas près de voir vos initiales fleuries ! Celle qui est là, et qui guette mon départ, ne lâchera pas de sitôt la corde qu’elle vous a mis au pied. »

Elle avance sans cesser de regarder la Plate qui la dévisage de ses yeux trop noirs, et qui répond à son sourire par un