Page:Audoux - Douce Lumiere.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rire qui élargit encore une bouche démesurée où il manque des dents.

À peine passée Églantine l’excuse :

— Ah ! celle-là aussi aime trop, sans doute, il faut lui pardonner.

Et sans plus regarder en arrière elle prend le tournant qui mène à la gare. De ce côté, elle est sûre de ne rencontrer personne, puisqu’il n’y a pas de maison. Elle s’arrête sur le pont pour regarder la rivière dont on ne voit plus les rives et qui est devenue aussi large qu’un fleuve. Cette rivière, elle l’a vue plus large encore, et si haute qu’elle effaçait les saules. Mais jamais elle ne l’a vue si embourbée. Elle songe à certains hivers tout blancs où l’eau durcie par le gel faisait sa joie et celle de tous les enfants de Bléroux. Aujourd’hui l’hiver est sans neige, ni glace, fait seulement de vent et de nuages sombres se chevauchant et roulant si bas qu’ils semblent prêts à se mêler à la plaine bourbeuse.

Des rafales rebroussent la nappe d’eau sale, et tentent d’entraver sa course. Elle reflue sous la violence de l’attaque. Elle se hausse, lutte et tourbillonne. Et, redevenue la plus forte, elle passe, tumultueuse, et plus rapide encore, pressée, dirait-on, de dégager ces prés où poussera bientôt une